Le Conseil constitutionnel abroge la loi condamnant le harcèlement sexuel, car elle ne définit pas suffisamment ce délit. Toutes les procédures tombent, dans l’attente d’une nouvelle loi.
« Depuis ce matin, il n’y a plus de délit de harcèlement sexuel. Les procédures en cours sont annulées, les victimes ne peuvent pas porter plainte. » C’est ainsi que Marilyn Baldeck, déléguée générale de l’AVFT (association contre les violences faites aux femmes au travail) traduit la décision rendue, vendredi 4 mai, par le Conseil Constitutionnel : l’article 222-33 du code pénal est contraire à la Constitution. Son abrogation est « applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date ».
L’AVFT appelle à un rassemblement de « révolte », samedi 5 mai à 11h, près du Conseil Constitutionnel.
« Message d’impunité »
Les ‘Sages’ avaient été saisis d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) déposée par un élu du Rhône, Gérard Ducray, qui contestait sa condamnation pour harcèlement sexuel. Selon le code pénal, « le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ». Mais rien ne vient préciser ce qu’est « le fait de harceler autrui ».
Entre anciens…
Jacques Barrot, l’un des 11 membres du Conseil constitutionnel, était Secrétaire d’État au Tourisme sous le premier gouvernement de la présidence Giscard… et au même moment, le secrétaire d’Etat au Logement s’appelait Gérard Ducray, celui-là même qui est à l’origine de la QPC. Un conflit d’intérêt, remarqué par le professeur de droit Serge Slama, qui ne remet pas en cause la décision du Conseil constitutionnel, mais « pourrait remettre en cause la pérennité de Jacques Barrot » dans cette instance, juge l’avocat-blogueur « Maître Eolas ». Il aurait pu demander à ne pas participer à cette décision, ce qu’il n’a pas fait.
Dès lors, pour les ‘Sages’, « les éléments constitutifs de l’infraction [ne sont pas] suffisamment définis » et donc « ces dispositions méconnaissent le principe de légalité des délits et des peines et doivent être déclarées contraires à la Constitution ».
L’AVFT s’attendait à cette censure. L’association s’était donc jointe au dossier afin d’obtenir que cette abrogation soit différée, pour éviter un flou juridique. Le Conseil constitutionnel ne l’a pas entendue, rendant selon Marilyn Baldeck « un message d’impunité d’une extrême gravité ». Cette décision laisse entendre que « les victimes sont quantité négligeable ».
« Responsabilités politiques »
L’AVFT accompagne aujourd’hui une vingtaine de femmes qui ont porté plainte pour harcèlement sexuel et auxquelles « il va falloir annoncer que leur procédure est annulée ». Plus globalement en France, la chancellerie ne fournit aucun chiffre sur le nombre de procédures en cours, mais l’AVFT l’estime à plusieurs centaines.
Anne Rigaud, l’une des trois femmes qui avait porté plainte contre Gérard Ducray, s’emporte contre une décision « inimaginable, inconcevable », « une catastrophe pour les droits des femmes ». Une « catastrophe historique », renchérit Marilyn Baldeck qui dénonce des « responsabilités politiques ».
Une nouvelle loi : « la priorité »
En effet, dès son vote il y a 20 ans, l’AVFT dénonçait le flou de la loi définissant le harcèlement sexuel (l’association détaille ici ce qui à ses yeux doit changer). Les parlementaires ont eu, en 2008, l’occasion d’apporter des précisions à cette définition, mais ils n’en ont rien fait.
« Une nouvelle loi sur le harcèlement sexuel, ce devra être la priorité de la prochaine législature », assène dès lors Marilyn Baldeck qui veut croire qu’un nouveau texte verra le jour avant 2013. Mais « tout dépend de la volonté politique ». Qu’en est-il de cette volonté ? « Avant même que la QPC soit déposée, nous avions interpellé les candidats », souligne Marilyn Baldeck. « Le Front de gauche est le seul parti à s’être prononcé pour une réforme. François Hollande s’est engagé à réfléchir (1). En tous les cas, seuls les partis de gauche nous ont répondu… » (2)
Aujourd’hui, l’équipe du candidat socialiste indique que « François Hollande s’engage, s’il est élu, à ce qu’une nouvelle loi sur le harcèlement sexuel soit rédigée et inscrite le plus rapidement possible à l’agenda parlementaire. » La ministre en charge des droits des femmes, Roselyne Bachelot, invite dans un communiqué « la nouvelle Assemblée nationale qui sortira des urnes au mois de juin prochain à se saisir en urgence de ce dossier afin de garantir les droits des salariés et, plus particulièrement, ceux des femmes. » En 2011, le gouvernement se montrait un peu moins pressé : le plan interministériel de lutte contre les violences faites aux femmes notait que « dans l’objectif d’une plus grande cohérence juridique pour le citoyen, il importe d’évaluer la possibilité d’harmoniser la législation pour ne disposer que d’une définition du harcèlement sexuel. »
Les membres du Conseil Constitutionnel :
(1) « Une réflexion devra être lancée sur l’harmonisation des définitions du harcèlement sexuel prévues dans le code du travail et dans le code pénal, en les alignant sur la définition issue du droit communautaire », écrit le candidat socialiste. Le droit communautaire repose sur la directive 2002/73/CE qui définit le harcèlement sexuel comme « la situation dans laquelle un comportement non désiré à connotation sexuelle, s’exprimant physiquement, verbalement ou non verbalement, survient avec pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d’une personne et, en particulier de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ».
(2) Marilyn Baldeck nous signale en commentaire : « Nicolas Sarkozy a finalement répondu à la lettre de l’AVFT, postérieurement, bien sûr, à mes déclarations citées dans cet article. Nous avons reçu un mail de Lauranne Shied, « chargée d’études » à l’UMP, le 4 mai, à 12h50, soit 2h50 après la décision rendue par le Conseil constitutionnel , sans qu’il ne fasse aucune référence à la QPC et qu’il ne contiennent aucun engagement de réforme du harcèlement sexuel. A lire ici : www.avft.org/…/ »