Minorités visibles, homos, femmes… Lorsque ces groupes luttent contre les discriminations dont ils sont l’objet, la tentation est grande de leur reprocher une forme de communautarisme. Seul l’homme blanc hétéro échappe à ce phénomène. Et si le communautarisme n’était pas là où on croit ?
Il en va aujourd’hui du communautarisme, des logiques de réseaux et des lobbys, comme du prix de l’immobilier ou des vacances des Français. Les médias en font régulièrement leur une. Devenu la marotte des hebdos, L’Express, Marianne et Le Nouvel Observateur en tête, ce sujet vendeur permet d’évoquer, à mots feutrés, le pouvoir de quelques communautés et groupes d’intérêts dont les membres se coopteraient afin de décrocher les postes clés avec, en ligne de mire, le désir de prendre le pouvoir. À la lecture de ces articles, beaucoup peuvent légitimement se dire, « je suis exclu de ces communautés donc je ne pourrais jamais bénéficier des mêmes avantages. »
Femmes, minorités visibles, homos, tous communautaires !
Le phénomène n’est pas nouveau. Autrefois juifs, Auvergnats et Bretons étaient suspectés de dérive communautariste, aujourd’hui, avec les gays et les minorités visibles, les cibles bougent mais la logique reste la même. Au départ, chacun comprend l’intérêt de vouloir se protéger des discriminations éventuelles et de lutter contre. L’objectif semble louable. Mais très vite la quête d’entraide et de solidarité, la « face lumineuse » comme la nomme Le Nouvel Observateur, laisse la place à la « part d’ombre : privilèges, passe-droits et copinage. ». Une fois que la population en question devient plus visible, un doute survient alors, et si elle n’agissait que pour ses seuls intérêts faisant fi des valeurs universelles qui fondent notre société, en particulier celles de liberté et d’égalité. Les gays seraient ainsi passés de la défense de la diversité et de la légitime lutte contre les discriminations, à une « dérive communautaire, du noyautage du ministère des Affaires étrangères à leur position monopolistique dans le milieu de la mode » qui, selon l’hebdo de gauche « peut irriter ». Noyautage, position monopolistique, comparses, fonctionnement secret, cercle souterrain, milieu, tous les poncifs sont repris dans l’article du magazine. Un témoin, anonyme, décrit « le mode de vie du gay parisien qui a du pouvoir » : vernissages, Opéra, défilés de mode, la salle de gym chic, ou réunion à Matignon. « Ca crée des liens, une sympathie.», À l’instar d’Alain Piriou, ancien responsable associatif aujourd’hui consultant autour des questions de non-discrimination et de promotion de la diversité, certains y voient une forme de stigmatisation de quelques populations composées d’êtres à part, défendant leurs seuls intérêts et des droits spécifiques. « En réalité, à laisser entendre que le pouvoir serait sous leur influence, ces réseaux contribuent à alimenter une homophobie aux allures d’antisémitisme (« ils ont tout, et nous rien ») et à accréditer l’idée d’une spécificité homosexuelle qui justifierait la discrimination », argumente-t-il dans son blog. Autre exemple : revendiquer une place plus juste du rôle des femmes dans l’histoire serait aussi synonyme de dérive communautariste, comme le soulignait une étude réalisée par le Conseil économique et social en 2004. Une grande communauté puisque composée de 52 % de la population française !
Pourtant, nul n’ignore la gravité d’une telle accusation en France, pays qui s’est construit sur l’idée d’égalité et où chacun doit se sentir appartenir à une nation. Dans l’article premier de la Constitution de la Cinquième République est spécifié que : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. » En conséquence, l’État-nation français, contrairement aux États-Unis et au Royaume-Uni, s’oppose fermement à une reconnaissance de minorités nationales et des populations minoritaires en France. C’est au nom de cette égalité, qu’Elisabeth Badinter protestait il y a une quinzaine d’années contre la parité hommes-femmes en politique qui, disait-elle, était un renoncement à l’égalité citoyenne et la fin de la République française : « Se détourner de l’universel pour entrer dans le différentialisme, même si c’est celui, biologique, des sexes, est extraordinairement dangereux. La menace du communautarisme pèse sur notre société ». Très engagée sur la question, la philosophe écrivait encore récemment à propos des statistiques ethniques : « Obliger quelqu’un à se définir par rapport à son origine, c’est le figer dans une identité. » Certes, un des risques du communautarisme est d’empêcher ou de freiner l’émancipation des individus vis-à-vis de leur communauté d’origine. Mais pourquoi présumer de communautarisme chez une population dans son entier, quelle qu’elle soit ? Cela suppose de la part des minorités visibles par exemple, l’intention d’ethnocentrisme ou de la part des homos celle de sociocentrisme avec comme but avéré de se fermer sur soi, d’envisager la communauté et ses réseaux comme l’unique perspective. Ce qui risquerait en effet de mettre en péril l’homogénéité de la société et remettre en cause les fondements de la nation.
Pourquoi porter une telle accusation ?
Qui peut aujourd’hui objectivement accuser une population entière de cultiver ce dessein ? Il ne suffit pas d’aligner quelques noms appartenant à telle ou telle prétendue communauté pour démontrer une théorie. Certes, des formes de communautarisme existent, il s’agit en grande partie de groupes minoritaires et extrémistes issus des trois religions monothéistes. C’est là que s’exprime le plus souvent l’idée d’un monde manichéen, avec les bons issus de la communauté à laquelle on appartient, et le reste du monde. Peut-on pour autant amalgamer ces communautarismes jugés dangereux pour l’équilibre de notre société avec les réseaux composés de femmes ou de noirs par exemple ? Ces réseaux fonctionnant plus sur la base d’affinités que sur une l’idée d’appartenance identitaire. Les polytechniciens ou des adhérents du club de boule lyonnaise de Vierzon, ne se cooptent-ils pas dès qu’ils en ont l’occasion ? Il existe d’ailleurs des clubs et cercles depuis des siècles, autrefois exclusivement réservés aux hommes. Aujourd’hui, appartenir à un réseau social via le web ouvre parfois des portes à ceux qui le souhaitent. S’agit-il d’une communauté dont il faudra se méfier ? On peut en douter car finalement, le communautarisme le plus efficace de notre société n’est-il pas plutôt celui exercé par les hommes, blancs, hétéros, issus des milieux les plus favorisés ?
Yves Deloison