Lors du vote de la loi égalité, les amendements contre l’IVG ont été repoussés mais certains discours, en niant l’âpreté des combats passés, risquent d’endormir les générations futures.
Les députés ont adopté mercredi 21 janvier la suppression des mots qui lient le recours à l’IVG à une situation de détresse. Selon l’article L2212-1 du Code de la santé publique, ce ne sera plus quand « son état [la] place dans une situation de détresse » mais quand elle « ne veut pas poursuivre une grossesse » qu’une femme « peut demander à un médecin l’interruption de sa grossesse ».
Il s’agissait là d’un des éléments du projet de loi pour l’égalité entre les hommes et les femmes les plus médiatisés ces derniers jours. Une mesure pourtant prévue dès le mois de décembre, quand elle avait été adoptée par la commission des Lois de l’Assemblée nationale, à la demande du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes.
Les voix des UMP Nicole Ameline et Françoise Guégot
Les arguments pour supprimer cette notion de détresse ne manquaient pas. Arguments pragmatiques : Axelle Lemaire, la députée qui défendait l’amendement, rappelait qu’« aujourd’hui, quelque 35% des femmes en France recourent à l’IVG au moins une fois dans leur vie », leur contraception n’ayant pas fonctionné. Arguments idéologiques : « Dénier aux femmes la capacité de décider serait un recul juridique et une défaite de la pensée », résumait Nicole Ameline, députée UMP et ancienne ministre de la Parité.
Comme elle, la députée UMP Françoise Guégot a vigoureusement défendu la suppression de la notion de détresse. « Je dis très amicalement aux collègues de mon groupe que je suis députée depuis 2007 et qu’il me semble que nous avons, à de nombreuses reprises, procédé à des toilettages de textes et que la loi Veil, qui date de 1975, c’est-à-dire bientôt quarante ans, a d’ailleurs elle-même été toilettée, y compris sur les délais. Il n’y a donc rien d’extraordinaire à vouloir faire quelques corrections… », lançait Françoise Guégot.
Christian Jacob réécrit l’Histoire
Une adresse aux « collègues de son groupe » car beaucoup d’entre eux refusaient de toucher à la notion de détresse, au nom de « l’équilibre » de la loi Veil de 1975. Leur chef de file Christian Jacob s’est même lancé dans une réécriture de l’histoire, estimant qu’il n’y avait pas à retoucher ce que Simone Veil avait voulu et que la droite devait être remerciée pour avoir permis l’avortement. Faux : l’idée de détresse est une concession que Simone Veil a dû faire pour que la loi soit votée. Les attaques qu’elle a subies lors des débats à l’époque, dans son propre camp, furent odieuses (elle le rappelait encore 20 ans plus tard), son état d’épuisement lorsque la loi fut votée sont restés dans les mémoires.
Réécrire l’histoire en niant l’âpreté des combats, faire passer chaque conquête des droits des femmes pour une victoire sans péril sert à endormir les générations suivantes.
En réalité, la suppression de la notion de détresse ne fait que poursuivre « un long travail de consolidation de ce qui ne fut qu’amorcé en 1975 », un travail auquel la droite n’a pas vraiment contribué, souligne Sylvain Bourmeau dans Libération,
On n’ose imaginer la teneur des débats si Najat Vallaud-Belkacem n’avait pas rejeté, en novembre, deux autres recommandations du Haut Conseil à l’Egalité : supprimer le délai de réflexion de 7 jours et supprimer du Code de la santé publique la mention de la « clause de conscience » spécifique à l’IVG. La ministre invoquait alors précisément « l’équilibre » de la loi Veil et disait sa crainte de « crispations »…
7 députés pour le déremboursement
Si les échanges ont été à ce point tendus, c’est parce qu’une partie de l’UMP entendait conserver la notion de détresse, mais aussi parce que certains avaient même proposé un amendement visant à dérembourser l’acte (Voir : Ces députés qui s’attaquent à l’IVG). Une petite partie de l’UMP, puisque les signataires de cet amendement controversé n’étaient qu’une quinzaine. Et en séance ils n’ont même été que 7 à le voter1.
Pour sa part la députée FN Marion Maréchal Le Pen, si elle s’est abstenue, n’a pas manqué d’évoquer « l’existence de formes d’IVG que certains médecins appellent de confort » ; une rhétorique fallacieuse, déjà employée lors de la campagne présidentielle de 2012 par le FN, qui envisageait le déremboursement de l’IVG (Voir : IVG : les mots et les non-dits de la campagne).
En octobre 2012, son remboursement à 100% (contre 70 ou 80% auparavant) avait été voté par les députés dans une certaine indifférence. Seuls 6 députés UMP s’y étaient opposés – pas les mêmes que ceux qui se sont prononcés cette fois pour le déremboursement (Voir : IVG, contraception : pas si évident)
« Rééducation » : Zemmour, grand timonier du Figaro
Le contexte extérieur à l’hémicycle a évidemment joué un rôle dans la dramatisation du sujet. Le contexte espagnol, d’abord, Madrid ayant récemment décidé de restreindre l’accès à l’IVG, et le débat s’est étendu à l’Union europénne. Cette situation se doublant des revendications des anti-IVG français qui manifestaient le 19 janvier, comme chaque année à cette même période. Comme à l’occasion du mariage pour tous, les députés les plus traditionalistes ont donc choisi de s’aligner sur la rue… et sur Le Figaro qui n’a pas manqué de souffler sur les braises. Le quotidien est en effet vent debout, depuis des mois, contre nombre de notions relatives à l’égalité entre les femmes et les hommes (Voir par exemple : L’éducation à l’égalité hérisse Le Figaro).
« Voilà que les écologistes partisans de la ‘théorie du genre’ veulent supprimer la notion de ‘bon père de famille’ du droit français » s’offusquait ainsi le journal, voyant dans la loi une nouvelle menace pour les familles. Ne lui en déplaise, la suppression de cette notion obsolète a bel et bien été votée, elle aussi, par les députés ce 21 janvier.
Dans son éditorial, le directeur adjoint de la rédaction du journal, Yves Thréard, en rajoute une couche, voyant dans la loi pour l’égalité une entreprise diabolique de « rééducation des mentalités ». Rien de nouveau sous le soleil de la rhétorique : c’était déjà l’antienne d’Eric Zemmour il y a plus d’un an, un argumentaire que le même réchauffait le 21 janvier sur RTL.
1 Les UMP Nicolas Dhuicq, Philippe Gosselin, Marc Le Fur, Yannick Moreau, Jean-Frédéric Poisson et Claudine Schmid et le non-inscrit (d’extrême-droite) Jacques Bompard. Voir le détail du scrutin.
Image : INA.fr. Simone Veil devant l’Assemblée nationale le 26 novembre 1974.