Une adolescente est victime de harcèlement et de menaces de mort pour avoir critiqué l’Islam. Instrumentalisation, confusion et erreur de la Garde des Sceaux.
Elle dit avoir reçu plus de 200 messages par minute. Mila, une lycéenne iséroise de 16 ans a été la cible d’une très menaçante campagne de cyberharcèlement après avoir critiqué l’Islam. S’exprimant dans le langage fleuri qu’emploient souvent les jeunes (et les moins jeunes) sur les réseaux sociaux, elle a engagé une discussion avec ses abonné.e.s sur son compte Instagram consacré à sa passion pour le chant le 19 janvier. Ouvertement lesbienne, elle aurait, selon le site Bellica, envoyé balader un dragueur insistant et échangé avec une abonnée qui disait que les « rebeux » n’étaient pas son style. Le dragueur aurait commencé par des insultes lesbophobes et parlé religion. Et Mila aurait enchaîné sur des critiques de la religion et de l’islam en particulier dans une vidéo, parlant de « religion de haine » et « de merde » et ajoutant, avec ses mots, qu’elle ferait bien un toucher rectal à Dieu…
Pas de quoi ouvrir un débat apaisé, mais rien à voir avec le torrent de menaces de mort et de viol qui a déferlé sur elle, les menaces étant parfois assorties de descriptions de violences sadiques. Et, en boucle : « t’es morte, on sait où t’habites.» Son adresse et celle de son lycée ont été publiées sur les réseaux sociaux. L’adolescente a dû cesser de se rendre au lycée et a porté plainte.
Le parquet de Vienne a ouvert une enquête pour « menaces de mort » … Et il en a ouvert une seconde pour « incitation à la haine raciale » contre la lycéenne. (Modification le 30 janvier): Le parquet à classé sans suite cette deuxième procédure.
Féministes de circonstance
Les soutiens #JeSuisMila ont afflué sur les réseaux sociaux. Et une presse d’ordinaire antiféministe s’est attaquée aux féministes qu’elle trouvait trop discrètes voire complaisantes avec ceux qui tentent de faire régner la terreur islamiste. Elisabeth Levy, la patronne de Causeur, en a par exemple fait une chronique sur Sud Radio. Les féministes de circonstance qui se réveillent seulement quand les misogynes sont des musulmans s’étaient déjà largement exprimés en 2016 par exemple lorsque des agressions sexuelles avaient été dénoncées au nouvel an à Cologne. Mais on ne les entend pas beaucoup lorsqu’une féministe est harcelée en ligne. Ce qui met mal à l’aise celles qui luttent à la fois contre la violence sexiste et contre le racisme et rend le sujet toujours plus confus.
Pour Mila, le gratin de l’extrême droite s’est largement répandu : de Marine Le Pen à Florian Philippot en passant par Nicolas Dupont-Aignan ou encore Robert Ménard, tous y sont allés de leurs tweets soutenant Mila, tweets repris par les médias tandis que la fachosphère débitait sa haine sur différents blogs et sites.
Et « les féministes ? » Elles se sont aussi exprimées pour condamner le cyberharcèlement et les menaces dont Mila était victime. Mais elles disposent, dans les médias, de moins de tribunes que les antiféministes. Et le féminisme est un ensemble de mouvements de bénévoles débordé.e.s. Pas un parti organisé ou une ONG capable de mobiliser des forces pour agir vite.
Pourquoi sommer les féministes d’agir ? Après tout cette affaire est, certes une attaque misogyne, mais c’est avant tout une question de droit au blasphème, de droit de critiquer les religions et de défense de la laïcité (qui se serait posé aussi si un homme avait exprimé les mêmes critiques du Coran). Le problème est que l’extrême droite a beaucoup investi les associations qui défendent la laïcité et commence à leur imposer le tempo. Si bien qu’il est compliqué pour la gauche de s’en réclamer. En interpellant les féministes quand ça l’arrange, l’extrême droite voudrait-elle aussi dicter le tempo du féminisme pour cantonner la misogynie à l’étranger musulman ? Peu probable qu’elle réussisse mais elle essaie.
Hors extrême droite, les défenseurs de Charlie Hebdo, qui se sont exprimés sur cette affaire se sont sentis un peu seul. Comme l’avocat du journal et, désormais avocat de Mila Richard Malka , qui signe une tribune dans le JDD. Mais il fait quelques rapprochements malheureux en reprochant aux féministes de boycotter « le film d’un cinéaste américain de 86 ans» et il ignore le vaste mouvement de lutte contre les violences sexistes. Un message subliminal de plus pour dire que les féministes ont toujours tort
Puis l’affaire a rebondi. Sur Sud Radio, le délégué général du Conseil français du Culte musulman (CFCM), Abdallah Zekri, a été on ne peut plus hypocrite le 24 janvier en évoquant l’affaire Mila. Après avoir condamné les nombreuses menaces de mort, il a affirmé : « Elle l’a cherché, elle assume. Les propos qu’elle a tenus, les insultes qu’elle a tenues, je ne peux pas les accepter » .
Et cette fois-ci ce n’est pas l’extrême droite qui a réagi mais une membre du gouvernement. Marlène Schiappa, la secrétaire d’Etat à l’Egalité femmes-hommes, interrogée sur France Inter le 27 janvier, n’a pas tourné autour du pot. Pour elle, les déclarations d’Abdallah Zekri, sont criminelles. Et « indignes d’un responsable, qui est un leader d’opinion et qui a une parole dans le débat public » avant de rappeler que « s’adonner à du cyberharcèlement en meute » constitue « un délit ». Clair.
Posture et politique
Mais ce mercredi matin, la Garde des Sceaux Nicole Belloubet a donné à nouveau du grain à moudre à ceux qui disent défendre la laïcité. Si elle a d’abord affirmé que « dans une démocratie la menace de mort est inacceptable », elle a ajouté « l’insulte à la religion, c’est évidemment une atteinte à la liberté de conscience, c’est grave ». Erreur !
Sa déclaration a fait réagir à gauche . La sénatrice socialiste Laurence Rossignol, ex-ministre en charge des Droits des femmes a écrit illico sur twitter : « 0/20 en droit constit à la Ministre qui prétend que ‘l’insulte à une religion est une atteinte à la liberté de conscience’. En France, il est interdit d’insulter les adeptes d’une religion mais on peut insulter une religion, ses figures, ses symboles. #NonAuDelitDeBlaspheme »
Et le philosophe Raphaël Enthoven a réagi au tweet de Laurence Rossignol ainsi : « C’est que la « garde des sceaux » @NBelloubet ne défend pas seulement le droit et la liberté, mais aussi les tribunaux populaires, où les gens sont lynchés par des électeurs qu’il faut caresser dans le sens du mauvais poil… Pauvre République. Sentinelles minables. #JesuisMila» … S’il dit vrai, ça va être très compliqué de faire triompher la liberté de critiquer les religions.
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