Le viol collectif existe dans tous les milieux sociaux, avec les mêmes inversions de culpabilité… à la suite du verdict controversé de Créteil, Martine Moscovici, avocate au barreau de Paris, remet les idées en place.
Le viol collectif ne s’arrête pas aux « quartiers défavorisés », il a lieu dans toutes les classes de la société. J’ai défendu une jeune lycéenne victime de viols collectifs à Versailles. Ses violeurs fréquentaient le même établissement scolaire qu’elle. Ils provenaient de la classe moyenne, leurs parents étaient employés ou cadres. Leur ligne de défense ? Celle que l’on retrouve dans ce genre d’affaires, à savoir que la victime était consentante et qu’ils n’avaient fait que répondre à ses attentes. Ils disaient aussi qu’ils n’avaient pas réalisé qu’elle n’était pas d’accord car elle les rejoignait dans les escaliers ou les caves. Pourtant, elle était contrainte : certains de ses agresseurs la menaçaient de tout raconter à ses parents si elle ne se soumettait pas à leurs désirs ; la jeune fille avait un petit ami dans la bande, qui l’a « prêtée aux copains », ce qui démontre la chosification de la victime et entraîne sa déshumanisation.
Et puis, la victime se sent coupable, coupable de ne pas avoir su dire non… alors même qu’elle était obligée ; coupable de n’avoir pas osé en parler à ses parents ou à ses amis ; coupable de ne pas les avoir dénoncés rapidement. La culpabilité doit changer de camp. Ce sont les violeurs qui sont coupables. Lors de l’audience, ils se font passer pour des victimes en disant que la jeune fille les a sollicités, qu’ils ne pouvaient pas refuser ses faveurs sexuelles… Lorsque je plaide ce genre d’affaires, j’anticipe et balaie à l’avance ces arguments fallacieux.
Rétablissement de la vérité
Souvent, dans les milieux favorisés, les viols collectifs ne durent pas des mois ou des semaines ; ils ont lieu lors de soirées souvent alcoolisées ou lors de bizutages, qui perdurent malgré leur interdiction et leur sanction par la loi. Mais cela entraîne des conséquences tout aussi dramatiques pour la victime. Là aussi, elle a souvent honte d’aller porter plainte. Mon rôle est aussi de l’encourager à le faire, en l’accompagnant au commissariat, si nécessaire. De lui expliquer qu’elle n’est absolument pas coupable de quoi que ce soit et qu’elle est bien victime, même si ses agresseurs lui dénient cette qualité. L’arrêt d’assises qui déclare les violeurs coupables inverse automatiquement ce phénomène et la victime se sent mieux après ce rétablissement de la vérité.
Les femmes violées ne portent plainte que dans 10% des cas ; elles ont peur de s’engager dans le processus judiciaire qui est long et douloureux. Mais si elles étaient mieux reçues dans les services de police ou de gendarmerie, si leur parole n’était pas systématiquement remise en cause, cela faciliterait les choses. Pour éviter l’impunité des violeurs, tous les intervenants qui aident, entendent, auditionnent la victime ont un rôle bien déterminé et doivent l’assumer. Ainsi, il n’est pas normal de voir un juge d’instruction houspiller une jeune fille qui ne se souvient plus de l’heure exacte des faits ou de la couleur de la pièce où les faits se sont déroulés ; tout le monde doit respecter la parole de la victime.
« Un juré a osé demander si elle trouvait normal de se rendre seule dans un bar »
Je fais rarement correctionnaliser une affaire de viol qui doit passer devant une cour d’assises, parce que la peine encourue est bien moindre. Je le fais lorsque la victime est très fragile et ne supportera pas la solennité d’une cour d’assises ; ou si elle souhaite que l’audience ait lieu rapidement : un jugement correctionnel est planifié bien avant une session d’assises. Mais je le fais surtout lorsqu’il y a une zone d’ombre, même infinitésimale, chez ma cliente ; par exemple, si elle a fumé de la marijuana avant les faits…
En correctionnalisant une affaire de viol, elle se transforme en agression sexuelle mais je suis quasi certaine que le tribunal correctionnel condamnera les auteurs ; les magistrats professionnels sont moins manipulables que les jurés. Car il faut savoir qu’un jury est souvent impitoyable avec la victime si elle oublie un détail, si elle a trop bu d’alcool avant les faits ; elle ne correspondra plus à l’image que s’en font les jurés et il y a un risque d’acquittement.
La victime doit être irréprochable alors que les violeurs mentent en permanence ; c’est ainsi que les jurés réagissent. A une jeune femme venue seule prendre un verre dans un bar branché et y ayant fait la connaissance de son violeur, un juré a osé demander si elle trouvait normal de se rendre seule dans un bar. Ce sont des éléments à prendre en compte, malheureusement. Concernant les faits de viol, une femme jurée sera plus laxiste à l’égard du violeur tandis qu’un homme juré sera très sévère ; la femme se dit qu’elle ne se serait pas mise dans la situation de la victime et a peu de compassion pour elle. Je le vérifie à chaque session d’assises et peux prévoir le verdict en fonction de la composition hommes/femmes.
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