Une jeune Moldave expulsée, laissée à la merci des proxénètes, a obtenu gain de cause contre le gouvernement britannique. Lequel, dans le même temps, cesse de financer un programme de réinsertion des femmes étrangères prises dans des réseaux. Les associations s’inquiètent.
Comme un engrenage infernal. Contrainte à se prostituer, arrêtée, expulsée… et à nouveau soumise à ses proxénètes. Le quotidien britannique The Guardian raconte, mardi 19 avril, le parcours de Katya (son prénom a été changé), jeune femme Moldave de 26 ans piégée dans des réseaux de prostitution pendant plus de 10 ans. Enlevée à 14 ans dans son village ; contrainte, sous la menace, à se prostituer en passant d’un proxénète et d’un pays à l’autre : Italie, Turquie, Hongrie, Israël et Grande-Bretagne. Puis c’est l’arrestation à 18 ans dans la banlieue londonienne. Son proxénète a pu lui rendre visite en prison à plusieurs reprises, sans être inquiété. Finalement, « bien qu’ayant reconnu qu’elle avait été victime de trafic, les services de l’immigration ont décidé de la renvoyer en Moldavie, estimant qu’elle n’y courait pas de risque ».
Erreur. Ses ravisseurs n’ont mis que quelques jours à la retrouver. Battue et violée, Katya s’est à nouveau retrouvée dans l’engrenage de la traite. En Israël et Grande-Bretagne, encore. C’est là qu’elle a de nouveau été arrêtée en 2007, et a finalement pu, cette fois, obtenir un statut de réfugiée.
Le rôle des services d’immigration dans ce parcours aurait pu faire l’objet d’un procès retentissant, la semaine prochaine. Katya poursuivait le ministère de l’Immigration britannique, considérant que son expulsion, en 2003, viole la Convention européenne des droits de l’Homme.
Afin d’éviter un procès public, la Grande-Gretagne a reconnu sa faute et accepté de lui payer des dommages et intérêts conséquents – dont la somme restera secrète. Et le gouvernement de se défendre, assurant que l’affaire Katya ne pourrait pas se produire aujourd’hui : « Ce cas très dérangeant montre à quel point notre approche de la traite a significativement changé depuis 2003 », a jugé le ministre de l’Immigration Damian Green.
En échappant au procès, Londre évite ainsi, par la même occasion, que s’enflamme le débat autour de sa politique à l’égard du trafic d’êtres humains. Car le gouvernement britannique a confirmé, au début du mois, la fin de huit ans de partenariat – et des financements qui l’accompagnent – avec le Poppy Project. A sa place, pour prendre en charge les victimes de la traite, le ministère de la Justice a choisi l’Armée du Salut.
Plusieurs associations de défense des droits des femmes s’inquiètent de ce choix de privilégier un mouvement religieux, qui promeut « la prière et le jeûne » comme éléments de réinsertion, plutôt qu’une association qui a fait ses preuves sur le terrain. « Comment, par exemple, l’Armée du Salut prendra-t-elle en charge les lesbiennes, ou les femmes qui veulent un avortement ? », s’interrogent deux de ces associations (2). C’est là un « tournant idéologique » du gouvernement, estiment-elles.
C’est aussi, dénonce le Poppy Project, le signe de la volonté de réaliser des économies sur le dos des plus vulnérables. La présidente d’Eaves avait déjà rendu sa médaille du British Empire, au début de l’année, pour dénoncer la politique d’austérité du gouvernement britannique. Pour poursuivre ses actions, le Poppy Project devra trouver 1,2 millions d’euros chaque année.
En France aussi, l’Etat rechigne à soutenir les victimes de la traite Le récent rapport de la mission de l’Assemblée nationale sur la prostitution dresse ce constat accablant : parmi les victimes de traite identifiées, seule une sur dix a pu obtenir un titre de séjour en 2010. A cause de blocages à la fois en amont – la police rechigne à accorder aux prostituées les droits qui leur sont dus (3) – et en aval, en raison de « divers blocages au niveau préfectoral ». Des procédures ont été engagées devant la Cour européenne des droits de l’homme, « sur le fondement de l’absence de protection apportée par l’État à des victimes de traite qui allaient être expulsées alors que leur sécurité était menacée dans leur pays d’origine. » Car le droit au séjour de ces personnes est inscrit dans la loi ; et il est essentiel, « puisqu’il conditionne l’obtention de nombreux autres droits, comme la protection des forces de l’ordre ou le versement d’allocations. Plus encore, le droit au séjour est un élément fondamental de la reconstruction psychologique des victimes de traite et de proxénétisme », soulignent les députés. D’où les nombreuses mesures, proposées dans le rapport, destinées à « améliorer l’accès au droit des personnes prostituées » ; « permettre la protection effective des victimes étrangères de traite et d’exploitation sexuelle en améliorant les conditions dans lesquelles elles peuvent avoir accès à un titre de séjour » ; « améliorer la situation des victimes de la traite au regard du droit d’asile ».
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Photo : Flore-Aël Surun (Tendance Floue).
(1) L’association Eaves estime qu’à Londres, 80% des prostituées sont étrangères. Un pourcentage similaire à celui estimé pour la France.
(2) End Violence Against Women Coalition (EVAW) et Women’s Resource Centre (WRC)
(3) Parce que « les nécessités de l’enquête priment souvent sur les droits des victimes », mais aussi en raison de « l’incrimination de racolage, qui fait des personnes prostituées des délinquantes aux yeux de la loi ».