
La cinéaste Charlène Favier rend hommage à Oxana Chatchko, opposante politique et fondatrice des Femen, frêle jeune femme qui ne se savait pas héroïne.
Elle était ukrainienne, a cofondé les Femen en 2008, s’est réfugiée à Paris où elle est morte en 2018 : son destin hors du commun méritait bien un film. Enfant de la campagne, Oxana Chatchko a utilisé pour les Femen les couronnes de fleurs que les jeunes filles portaient lors des fêtes d’été. Peintre d’icônes, elle a repris ses pinceaux pour écrire des slogans sur son buste. Avec ses amies, elle s’est opposée avec courage à Poutine en Russie, à Loukachenko en Biélorussie et plus généralement au patriarcat politique et économique. Le nouveau film de Charlène Favier retrace sa dernière journée à Paris, le 23 juillet 2018, entrecoupée de flash-backs sur dix ans. Une vie à cent à l’heure, de la naissance de la rébellion dans l’enthousiasme du groupe, à l’exaltation téméraire, jusqu’aux désillusions et trahisons, pour finir par la douleur de l’exil, l’indifférence voire la méfiance de l’accueil en France.
Albina Korzh, elle-même ukrainienne, incarne à la perfection Oxana pour son premier rôle dans ce film rattrapé par l’actualité de la guerre qui a empêché le tournage en Ukraine. Si vous avez eu la chance de voir le documentaire « Apolonia Apolonia », vous y avez croisé le visage de chat et la fine silhouette de la véritable Oxana : à son arrivée à Paris en 2013, elle a été accueillie quelques mois chez la peintre Apolonia Sokol au Lavoir Moderne parisien. La peinture est d’ailleurs omniprésente dans sa courte vie, car la jeune militante talentueuse, occupa brièvement un atelier aux Beaux Arts de Paris où elle détourna sa technique des icônes traditionnelles en tableaux puissants et révolutionnaires…
La cinéaste à la mise en scène brillante construit ses plans comme des tableaux vivants, avec un réalisme esthétique nourri de contre-jours et d’accélérations. De ce film-requiem se dégage une mélancolie désespérée : en se suicidant, à 31 ans, Oxana a signé la défaite d’une forme de contestation. Mais son message d’adieu, « you are fake » (vous êtes faux), restera comme un cri de colère contre toutes les dictatures.
« Oxana » de Charlène Favier (1h43), scénario avec Antoine Lacomblez et Diane Brasseur, avec Albina Korzh, Maryna Koshkina, Lada Korova, produit par Rectangle et 2.4 .7 Films, distribué par Diaphana, sortie le 16 avril 2025. Le documentaire « Apolonia Apolonia » de Lea Glob est visible sur Arte TV jusqu’en 2026.
https://www.youtube.com/watch?v=wUbxhaL6wHM
Qui est Charlène Favier ?
Cinéaste autodidacte, elle s’est formée à la direction d’acteurs dans les écoles Jacques Lecoq à Londres et Lenore Dekoven à New York. Elle a porté à bout de bras son premier long métrage, « Slalom », qui a été sélectionné au festival de Cannes en 2020, festival qui n’a pas eu lieu pour cause de Covid. Elle y dénonçait les violences sexuelles dans le sport, à travers une jeune skieuse incarnée par Noée Abita. La comédienne aux grands yeux noirs, révélée par « Slalom », incarne d’ailleurs Apolonia dans « Oxana ». En 2022, la réalisatrice a adapté pour Arte le roman de Tanguy Viel « La Fille qu’on appelle », sur une jeune femme bloquée dans une relation d’emprise. Charlène Favier se place définitivement comme une réalisatrice féministe aux œuvres militantes : « L’hypersensible Oxana que je raconte aimait la vie du mieux qu’elle pouvait. J’ai été happée par sa personnalité et la richesse de son parcours de vie. Comme Lyz dans Slalom, Oxana est une survivante. Finalement ces deux films sont assez complémentaires et racontent tous les deux à leur manière la vision que j’ai d’être une femme aujourd’hui. »