Un décret du ministère des armées annonçait le 23 juin 2025 les affectations des officiers généraux de l’armée. Sur 81 noms, une seule femme apparaît. La féminisation des armées, pourtant affichée comme volonté politique par le gouvernement, a encore beaucoup à faire…

Avec 17,3 % de femmes au sein de ses rangs, l’armée française compte parmi les plus féminisées du monde. Le décret du 19 juin 2025, portant nomination d’officiers généraux, ne mentionne que quatre femmes : Catherine Bourdès, Anne-Cécile Ortemann, Anne Bardy, et Géraldine Le Du. Et celui du 23 juin portant affectation de 81 officiers généraux n’en mentionne qu’une. Ce taux de féminisation varie considérablement selon les services, et ne semble pas atteindre le cercle très sélect des hauts-gradés.
Une féminisation lente et très inégale
À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes de 2025, le Ministère des Armées a mis « en lumière l’évolution de la place des femmes dans les forces armées françaises » sur son site. Une frise chronologique qui s’arrête en 2022 avec la sélection de la lieutenant-colonel Sophie Adenot pour le corps des astronautes européen·ne·s, première aviatrice française à y parvenir et deuxième Française à devenir astronaute. Ainsi, si le ministère se targue d’un taux de féminisation atteignant les 22,2 % « en incluant les agents civils », cette affirmation est en réalité à nuancer.
Les femmes sont les plus présentes dans le Service de santé des armées (SSA), où elles représentent plus de 60 % des effectifs. Ce service est suivi de loin par l’armée de l’air (23 % de femmes), puis la Marine (14 %), et enfin l’armée de terre (10 %). Leur présence est encore plus résiduelle au sein des régiments de combat d’infanterie et des sous-marins, ces derniers n’étant ouverts aux femmes de tous grades et spécialités que depuis 2022.
Ces résultats ont été obtenus après six ans d’un « Plan mixité », lancé en 2019 par la Ministre des Armées de l’époque Florence Parly, et qui avait l’ambition de « doubler la part des femmes parmi les officiers généraux d’ici 2025 ». Catherine Bourdès, qui dirige le projet depuis 2022, s’en félicitait d’ailleurs : « En matière d’égalité professionnelle (rémunération, promotions…), le ministère des Armées fait partie des très bons élèves ». Pourtant, selon les derniers chiffres parus en 2022-2023, les femmes ne comptaient que pour 10 % des officiers généraux… Monique Legrand-Larroche, première Française nommée officier général quatre étoiles en 2014 et cinq étoiles en 2022, reconnaît pour Chemins de mémoire : « Sans être une exception, mon parcours reste encore trop rare. […] Je ne parlerai pas de place grandissante des femmes ; j’évoquerai plus volontiers une meilleure reconnaissance aujourd’hui des qualités et des apports des femmes au sein de l’institution militaire. […] Une étape importante sera franchie lorsqu’on ne se sentira plus obligé de compter les femmes générales ».
De nombreux obstacles
Si l’armée – tout comme la majorité des domaines professionnels – s’est vue obligée à favoriser la mixité en son sein, ses rangs demeurent assez hostiles aux femmes. Ainsi, après un bond de 8,39 % du taux de féminisation, selon un rapport de 2024, la situation stagne aujourd’hui. « Le plafond de verre continue d’exister, y compris au sein des armées, même s’il se fendille un peu », témoigne Monique Legrand-Larroche, et les femmes militaires sont plus susceptibles de connaître des ruptures de carrière. En moyenne, les femmes quittent l’armée quatre ans plus tôt que les hommes, treize ans plus tôt chez les officiers.
« Encore aujourd’hui, on demande aux femmes, plus qu’aux hommes, de faire leurs preuves. Il est reproché à une femme d’être susceptible alors qu’un homme ayant du caractère est félicité ! », déplore Monique Legrand-Larroche. Mais ce n’est pas tout : les femmes doivent aussi faire face, au sein de l’armée, à un climat parfois franchement misogyne et à de nombreuses violences sexistes et sexuelles (VSS). En 2024, un « MeToo des armées » alerte le gouvernement et la population française sur le sujet (lire aussi : « MeToo des armées » : la parole se libère dans les rangs de la grande muette). Manon Dubois, ancienne membre de la Marine, avait alors secoué le monde militaire en parlant à visage découvert des violences qu’elle avait subies.
Malgré un tollé médiatique, les agresseurs sont protégés et les victimes mises au ban : Manon Dubois s’est vue ostracisée par ses collègues, là où d’autres témoignent de sanctions – notamment des jours d’arrêt – pour non-respect de certaines règles lors de leur agression (consommation d’alcool, règles de mixité, etc.). Pourtant, certain·e·s tirent la sonnette d’alarme depuis des décennies : en 2014, le livre-enquête La Guerre Invisible. Révélations sur les violences sexuelles dans l’armée française de Leila Miñano & Julia Pascual alertait sur « une réalité de brimades et de violences jamais dénoncées, parfois étouffées sous le poids de la hiérarchie tricolore » (lire aussi : La fin de l’omerta sur les violences sexuelles dans l’armée française).
Si l’actuel Ministre des Armées, Sébastien Lecornu, souhaitait que « cette parole [libère] les victimes » plutôt que de « les condamner », l’action du gouvernement reste insuffisante. La cellule Thémis, mise en place en 2014, peine à traiter les demandes (226 signalements en 2023, par exemple), et les recommandations du rapport d’inspection de 2024 en réponse au MeToo des armées doivent encore faire leurs preuves.