L’Institut national d’études démographiques (Ined) publiait le 9 juillet une nouvelle étude sur le désir des français·e·s d’avoir des enfants. En pleine montée des discours contre le déclin démographique, les féministes s’inquiètent des conséquences de cette mission nataliste sur les droits et libertés des femmes.
« Nous sommes au pied du mur démographique », alerte la ministre du Travail Catherine Vautrin dans une interview pour L’Express. Les chiffres sont, en effet, éloquents. De cette enquête de l’Ined menée auprès de 12 800 personnes âgées de 18 à 79 ans, il ressort que le nombre « idéal » d’enfants pour les français·e·s est passé de 2,7 en 1998 à 2,3 aujourd’hui. Et dans les faits, seulement 663.000 naissances ont été enregistrées en 2024, le niveau le plus bas que la France ait connu depuis la Seconde Guerre mondiale.
Pourquoi un tel déclin du taux de natalité ?
« Les gens privilégient désormais des familles plus petites, et la fécondité va probablement continuer à baisser », commente Milan Bouchet-Vala, un des chercheurs à l’origine de cette étude. Plusieurs facteurs viennent expliquer cette baisse du désir d’avoir des enfants, mais également l’écart observé entre le nombre d’enfants souhaité et le nombre d’enfants accueillis. Car en effet, l’étude de l’Ined montre par exemple que les femmes nées en 1980 exprimaient en moyenne la volonté d’avoir 2,5 enfants à 25 ans, mais n’en ont eu que 2,1.
Catherine Vautrin fait sens de ce décalage entre désir et réalité en distinguant « deux sortes d’infertilité ». « La première, que je qualifierais de médicale, est importante. […] La deuxième est l’infertilité sociétale, engendrée par l’angoisse que suscitent les guerres autour de nous, les préoccupations environnementales, les difficultés liées à la garde d’enfants ou à l’accès au logement… ». À ce titre, Emmanuel Macron évoquait fin 2024 la possibilité de proposer à tous·tes les jeunes de 20 ans un « check-up fertilité » intégralement remboursé…
Si le président s’inquiète donc de cette « infertilité médicale », il semble moins enclin à agir pour réduire l’« infertilité sociétale ». Pourtant, celle-ci n’est pas négligeable : selon l’étude de l’Ined, les personnes qui se disent « inquiètes pour les générations futures » souhaitent avoir 0,11 enfant de moins que les personnes moins inquiètes. Ces inquiétudes recouvrent la crise économique, l’affaiblissement de la démocratie, ou encore le changement climatique.
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De nombreux·euses conservateur·ice·s blâment également le féminisme, responsable selon eux d’un changement de mœurs qui diaboliserait presque le modèle de la famille nucléaire. D’un côté, la société dans laquelle évoluent les femmes s’est effectivement transformée : « Elles se sentent aussi moins obligées de faire des enfants pour Dieu, pour la patrie, pour la famille, pour la belle-famille, pour un homme », explique David Duhamel, économiste et auteur d’Un monde sans enfants, « et ça, c’est positif ». D’un autre côté, le féminisme a surtout permis aux femmes de réaliser que, bien trop souvent, le poids de la création d’une famille ne repose que sur leurs épaules.
Aujourd’hui encore, la maternité reste une discrimination. Claudia Goldin, Prix Nobel d’économie en 2023 citée par David Duhamel, a démontré en ce sens que « l’essentiel de l’écart salarial qu’on voit entre hommes et femmes est en fait constitué par l’écart entre les pères et les mères ». L’économiste Hélène Périvier témoignait au mois de janvier : « À partir d’une expérience d’envois de CV à de vraies annonces au sein d’une banque, on a observé que les jeunes femmes qui postulent à des emplois très qualifiés ne sont pas reçues pour un entretien alors que des femmes plus âgées et des hommes de tout âge le sont. Ce biais de discrimination s’observe beaucoup moins pour des postes peu qualifiés où un remplacement est plus facile à organiser lors du congé maternité ».
Des inquiétudes légitimes de la part des féministes
Cette nouvelle montée en puissance des discours natalistes inquiète les féministes qui, pour beaucoup, l’associent à des reculs en matière de droit à l’avortement et à la contraception. Anne-Cécile Mailfert, présidente et fondatrice de la Fondation des Femmes, rappelait à ce sujet sur France Inter : « Le natalisme, qui n’écoute pas les femmes, qui n’écoute pas les mères, veut faire en sorte qu’elles se reproduisent, point barre »..
Le natalisme a également souvent été l’apanage des gouvernements autoritaires et/ou d’extrême-droite. Même certain·e·s critiques de la « dénatalité » reconnaissent que ce terme peut susciter une certaine méfiance. Maxime Sbaihi, auteur de Les balançoires vides, expliquait également sur France Inter : « Il y a du natalisme à la française, très classique : prestations familiales, allocations familiales, quotient familial, congés parentaux, etc. […] Après, il y a du natalisme beaucoup moins drôle, comme celui de la Chine qui aujourd’hui harcèle les jeunes femmes avec des armées de fonctionnaires pour les appeler à procréer ». David Duhamel évoque également la proposition d’un politicien japonais qui suggérait « qu’on interdise l’accession des femmes à l’éducation supérieure, qu’on les empêche de se marier après 25 ans et qu’on leur retire l’utérus après 30. L’idée, c’est que comme ça, elles vont faire leurs enfants rapidement et relancer la fécondité ».
Les féministes pointent également du doigt le fait que les mesures actuellement proposées par le gouvernement français, et notamment la Cour des comptes, pour relancer la natalité ne feraient en réalité qu’accroître les inégalités. Selon un rapport de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), les hommes se tournent plus volontiers vers les « activités susceptibles de renforcer, à leurs yeux, leur relation avec l’enfant » et « la priorité est souvent redonnée à l’emploi » ; là où les mères se retrouvent donc obligées de porter l’essentiel de la charge mentale.
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Une volonté de « réarmer démographiquement » le pays… Sans mesures concrètes pour aider les familles
Malgré ces déclarations alarmistes sur le déclin démographique que connaît la France, la mise en place de mesures adaptées pour relancer la natalité ne semble pas suivre. Pourtant, la volonté d’avoir des enfants persiste : « Quand on interroge les gens sur leur désir d’enfants, les quelques études faites dans ce sens montrent […] que si toutes les femmes avaient les enfants qu’elles désiraient, il y aurait largement assez d’enfants, ce serait au-dessus du seuil de remplacement », affirme David Duhamel. Seulement, les politiques actuelles ne permettent pas à celles et ceux qui le désirent de pouvoir accueillir des enfants dans les meilleures conditions possibles.
En ce sens, Anne-Cécile Mailfert dénonce : « On va à la fois dire « il faut plus de bébés », et ensuite, on va voter cette loi Duplomb qui remet des néonicotinoïdes qui vont être très néfastes pour la fertilité. On nous dit qu’il faut travailler plus pour gagner plus […]. On met à mal le logement social, on revient sur le plafonnement des loyers […]. Il y a l’explosion de la mortalité infantile et maternelle en France, il y a la fermeture des lits de maternité ». L’annonce récente par l’ARS de la fermeture définitive de la maternité des Lilas, lieu historique pour les droits des femmes, n’est d’ailleurs pas un bon présage…
Le fameux « congé de naissance » pour remplacer les congés parentaux, annoncé par le gouvernement depuis 2021 et visant à permettre aux deux parents d’être mieux rémunérés en étant auprès de leur enfant, n’a toujours pas de traduction concrète aujourd’hui. Si ce projet est évidemment insuffisant s’il n’est pas accompagné d’autres mesures, il permettrait d’enclencher un mouvement vers l’égalité entre les pères et les mères. Or, comme le rappelle David Duhamel : « Ça reste dans les pays plus égalitaires qu’on fait le plus d’enfants ».