Rencontre à Paris avec les Guerrilla Girls, les super-héroïnes anti-sexistes du monde de l’art. Au programme : des poils, de l’activisme, et une exposition.

Guerrilla Girls à Paris le 8 septembre 2016 © Les Nouvelles NEWS
Il fait chaud sous les masques de gorilles, mais hors de question de les enlever. L’identité des Guerrilla Girls est l’un des secrets les mieux gardé de l’Histoire. Difficile en effet pour une artiste de dénoncer le sexisme de son milieu sans répercussion sur sa carrière.
En France, leur célébrité est encore à conquérir, mais aux États-Unis les Guerrilla Girls sont des figures incontournables. Lorsqu’elles enfilent leur masque de gorille comme Clark Kent retirerait ses lunettes, elles deviennent les super-women du monde de l’art. Leur mouvement, né en 1985, part d’un constat : la sous-représentation des femmes artistes dans les institutions culturelles.
« Aujourd’hui c’est gênant pour un commissaire d’exposition de n’avoir aucune femme dans sa sélection »
Un combat toujours d’actualité même si, bien sûr, les choses ont évolué : « Aujourd’hui c’est gênant pour un commissaire d’exposition de n’avoir aucune femme dans sa sélection », explique ‘Frida Kahlo’, une des fondatrices du mouvement composé de 80 membres, toutes artistes. « Avant, lorsque nous allions nous plaindre dans un musée on nous répondait : ‘Nous n’avons pas de femmes ni de personnes de couleur, tout simplement parce que leur travail n’est pas assez bon’. Plus personne ne nous répond cela aujourd’hui. L’idée générale a été intégrée ».

« Les femmes doivent-elles être nues pour intégrer le Métropolitan Muséum ». Affiche des Guerrilla Girls, 1989
Tellement intégrée que les Guerrila Girls, qui organisaient des happening dans les musées, des actions directes armées de leurs banderoles, affiches et tracts, sont aujourd’hui les invitées d’honneur des plus grands musées : la Tate, le Palais de Tokyo, le Whitney Museum… « C’est très récent et un peu étrange pour nous, mais cela montre bien que les choses évoluent. Même si tout n’est pas linéaire : c’est un pas en avant, deux pas en arrière, deux pas en avant, un pas en arrière. Nous avons encore besoin de nous mobiliser, nous vivons tou.te.s dans une société patriarcale ».
« La question n’est pas qui nous sommes mais ce que nous faisons »
Ce jeudi 8 septembre c’est à la galerie Michèle Didier, dans le troisième arrondissement de Paris, que leur travail est exposé. Cerise sur le gâteau : le mouvement activiste féministe La Barbe » est aussi au rendez-vous.

© Les Nouvelles NEWS
« Nous avons des méthodes qui par certains aspects se ressemblent. Déjà, on compte le nombre de femmes dans chaque intervention, exposition.. Et puis surtout, on a du poil ! », ironise Marie Docher, membre du mouvement.
Des poils oui, mais pas les mêmes. « Avec nos barbes, on se moque de ces grands hommes qui nous gouvernent. En miroir, cela les trouble assez ». Chez Les Guerrilla Girls, l’utilisation des masques est différente : « À l’origine, nous portons des masques pour protéger notre anonymat, notre identité, notre carrière, nos vies », explique ‘Käthe Kollwitz’. « Mais très vite la problématique a changé ; dans différentes situations nous avons remarqué que les masques dépersonnalisaient la question de l’égalité. Nos détracteurs se concentraient sur nos discours et revendications plutôt que sur nous. La question n’est pas qui nous sommes mais ce que nous faisons. »
« Interpeller le public sur les discriminations dans les institutions artistiques fortement phallo- et ethno-centrées »
Pour le choix du gorille, l’histoire veut qu’une des membres inscrivit par erreur « gorilla » (gorille en anglais) au lieu de « Guerilla » sur une des banderoles. « Cela nous a fait rire, et nous avons décidé d’en faire notre marque de fabrique », résume ‘Käthe Kollwitz’. « L’humour est un mode d’expression important pour nous. Au début on l’utilisait de manière inconsciente, mais finalement il permet de désarmer la personne en face de nous, d’attirer l’attention ». Pour décrire leur mode d’action, les deux fondatrices se disent « intellectuellement agressives ».
Leur force ? L’échange. « Nous voulons et avons un dialogue privilégié avec le public, cela a aussi permis qu’on adapte nos méthodes au fil du temps ». Aujourd’hui, le mouvement ne se cantonne plus aux arts plastiques. Les Guerrillas Girls, féministes intersectionnelles, ont peu à peu investi Hollywood et le monde du théâtre. Elles continueront, parce qu’il le faut, « d’interpeller le public sur les discriminations qui sévissent dans les institutions artistiques, fortement phallo- et ethno-centrées ».
Exposition The Guerrilla Girls et La Barbe.
Du 9 septembre au 12 novembre 2016.Gallerie MFC-Michèle Didier, 66 rue Notre-Dame de Nazareth, 75003 Paris
https://youtu.be/9jH2WgpAdhQ