Le meurtre de Marjorie.G à Ivry-sur-Seine le vendredi 14 mai alerte à nouveau sur le passage de la violence numérique à la violence réelle et sur les lacunes de l’éducation à l’égalité.
« C’était une histoire sur les réseaux sociaux et ça a tourné au drame, elle a été harcelée et sa sœur n’a pas apprécié » témoigne Kadija une jeune collégienne, habitante de la cité Pierre et Marie Curie à Ivry-sur-Seine. Sa camarade hoche la tête gravement. Toutes deux connaissaient le tueur et sont profondément « choquées ». Vendredi dernier, Marjorie G. a été poignardée en plein cœur par un enfant de 14 ans. Selon les investigations en cours, la petite sœur de la victime subissait un cyberharcèlement sur le réseau social Snapchat, ce qui a poussé Marjorie à agir pour la protéger. Elle y aura laissé sa vie.
Encore une histoire de violence qui commence en ligne et se poursuit dans la réalité. Une histoire tragique qui fait écho à celle d’Alisha, assassinée le 8 mars dernier à Argenteuil dans le Val-d’Oise. La jeune fille de 14 ans, était victime de « revenge porn ». Des photos intimes d’elle avaient été rendues publiques par les deux meurtriers, un jeune homme et une jeune fille du même âge. Tous deux étaient proches d’Alisha avant qu’une banale histoire d’amour casse le trio et amène finalement au meurtre de l’adolescente. Selon l’enquête, la complice a attiré la jeune fille et le meurtrier l’a tabassée avant de la jeter dans la seine. Alisha est morte par noyade.
Cyberharcèlement des filles en hausse
Dans ces deux cas, la violence numérique dérive dans la réalité. Et la longue période de confinement a accentué cette cyberviolence. Le cyberharcèlement a augmenté de 57% en 2020 par rapport à 2019 selon une étude de l’association e-enfance. Les adolescent.es, éloignés du cercle scolaire et de leurs ami.es, se retrouvent à travers les écrans et la situation peut vite déraper. Nombreux sont les cas de suicides ou de scarifications rencontrés chez les jeunes. Selon la chercheuse Catherine Blaya, les jeunes filles ont 1,3 fois plus de risques de subir une forme de cyberviolence que les garçons.
Le rapport de l’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes sur le cyberharcèlement publié en 2017, notait que la cyberviolence sur les jeunes filles se manifeste souvent par «la traque furtive en ligne, la pornographie contre leur gré, des insultes et le harcèlement fondés sur le genre».
Samira, une collégienne de Vitry-Sur-Seine qui dit connaître Alvin M, le meurtrier de Marjorie G, relève l’intention sexiste du jeune garçon : « Il n’a pas apprécié de se faire taper par une fille, alors il s’est vengé. » Marjorie G aurait donné un coup au jeune garçon avant qu’il se munisse d’un couteau selon les informations policières. Elle était alors accompagnée de son petit ami et de son frère jumeau. Elle voulait faire cesser le cyberharcèlement sexiste contre sa soeur.
Alisha a été victime de « revenge porn », un phénomène qui touche principalement les jeunes filles. L’adolescente morte en mars à Argenteuil, avait vu son téléphone être piraté et des photos d’elle en sous-vêtement atterrir sur les réseaux sociaux.
Un enfer dont Aliya Chartier, a aussi été victime lorsqu’elle avait 14 ans. Elle a écrit un livre « Juste une histoire de nude » et évoque un cercle vicieux qui s’installe quand la victime est incitée à se sentir coupable. Elle raconte sa déposition contre l’homme qui a profité d’elle en lui soudoyant des photos dénudées puis en les publiant : « La policière m’a dit : non mais tu te rends compte de ce que tu as fait !? Tu aurais pu finir dans le coffre d’une voiture coupée en mille-morceau. ». Une leçon de morale qui a remplacé le soutien que l’adolescente recherchait.
Eduquer !
Pour Aliya Chartier, il est urgent de sensibiliser les jeunes dans les établissements scolaires : « Il faut en parler autour de soi, faire naître des débats avec les jeunes ! » dit-elle. La jeune femme aujourd’hui âgée de 19 ans, réalise en compagnie de la sexologue Véronique Agrapart, des cours de sensibilisation dans les collèges. Toutes deux déplorent le manque de temps accordé par les établissements scolaires aux questions d’éducation sexuelle et d’égalité entre filles et garçons : « Véronique estime que 90% des établissements ne sont pas en règle avec la loi » explique Aliya Chartier. Elle fait ici référence à la loi Aubry de 2001 selon laquelle une éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle doit être enseignée à raison de trois séances dans l’année scolaire part tranche d’âge. Mais cette règle n’est que très peu appliquée. D’après l’étude menée par le Haut conseil à l’égalité durant l’année 2014-2015, sur 3000 établissements étudiés, le nombre de classe ayant reçu les trois séances est très faible : 47% en CM2, 10% en 6ème, 12 % en seconde. Afin de combler le vide, le sénat a attribué une rallonge budgétaire pour les cours d’éducation affective, relationnelle et sexuelle lors de l’examen du budget 2021, s’opposant alors au ministre de l’Education qui n’en voyait pas l’utilité. La tâche est pourtant immense face à ces violences sexistes augmentées par les écrans des jeunes.