Sur la messagerie cryptée Telegram, des centaines de milliers de Sud-Coréens s’échangent des deepfakes pornographiques. Célébrités mais également anonymes, toutes les femmes sont visées. Les militantes féministes se mobilisent afin d’identifier les auteurs de ces trucages.

Le 30 août dernier, les militantes féministes sud-coréennes ont manifesté à Séoul, masquées. Elles voulaient dénoncer l’explosion des deepfakes. Quelques jours plus tôt, le 22 août, les femmes sud-coréennes découvraient qu’elles étaient victimes d’une vague de deepfakes pornographiques produits et diffusés par leurs camarades de classe et les hommes de leur famille…
C’est sur la messagerie cryptée Telegram – dont le fondateur franco-russe Pavel Dourov a récemment été interpellé pour refus de « communiquer des informations » et « complicité de diffusion d’images pédopornographiques sur sa plateforme dans une autre affaire » – que ces hommes s’échangent des trucages sexuels de jeunes Sud-Coréennes. Le média Hankyorek indique que 220.000 et quelques hommes sont membres de ces groupes de diffusion. Un choc pour les femmes qui découvrent l’ampleur du phénomène dont elles sont victimes.
Le deepfake est une technologie permettant de générer une image, totalement fausse, d’une personne dans n’importe quelle mise en scène. Mais il n’aura pas fallu attendre longtemps avant que cette IA soit détournée : selon la société de cybersécurité Deeptrace, 96 % de ces contenus sont de nature pornographique et la grande majorité mettent en scène des femmes dont le visage a été greffé à un corps nu qui ne leur appartient pas. S’il touche davantage les célébrités, comme la chanteuse américaine Taylor Swift ou les stars féminines de K-pop, qui représentent 25 % des personnalités mondiales touchées selon Deeptrace, c’est la première fois que des anonymes en sont massivement victimes.
À lire aussi : LE « DEEPFAKE » PORNOGRAPHIQUE : COMME TAYLOR SWIFT, LES FEMMES SONT EN PREMIÈRE LIGNE
Les deepfakes s’infiltrent même dans les écoles
Les propos sexistes, misogynes et ultra-violents envers les femmes sont au cœur de ces « chatrooms« . Le journal Le Monde révèle les avoir infiltré. L’un d’eux compte une trentaine de membres et cible une seule femme en particulier, une étudiante. Les hommes membres de ce groupe la prenaient en photo à son insu puis généreraient du contenu pornographique. Le Monde lève également le voile sur les « Family Rooms », groupes alimentés par des jeunes hommes qui photographient les femmes de leur propre famille, comme leurs soeurs ou leurs cousines, et diffusent « des photos prises à la dérobée, voire des vidéos de leurs attouchements incestueux », rapporte le journal.
Les établissements scolaires sont eux aussi massivement touchés par ce fléau. Les auteurs étant les élèves eux-mêmes… ainsi que les victimes. Le 21 août, quatre collégiens ont été mis en examen pour avoir produit et diffusé pas moins de 80 trucages pornographiques de leurs camarades ainsi que deux de leurs professeures selon la police de Busan. Le 28 août, un ancien étudiant de l’Université nationale de Séoul a même été condamné à cinq ans de prison après avoir été reconnu coupable d’avoir produit et diffusé des centaines de deepfakes d’étudiantes de son campus.
Mais ces groupes dépassent les limites du virtuel. Les informations personnelles des victimes, telles que leur adresse, leur école ou lieu de travail ainsi que leurs coordonnées, sont diffusées et les membres de ces chatrooms les harcèlent et vont jusqu’à les menacer de viol.
« The new Nth Room case »
Suite à la révélation de ces chaînes Telegram, les réactions pleuvent sur les réseaux sociaux et les internautes sont nombreux.euses à commenter : « the new Nth Room case ». Cela fait référence à une affaire datant de 2019. Une fois encore sur Telegram, un “chat“ diffusait des photos et vidéos d’exploitation sexuelle de femmes, certaines mineures. Ces dernières étaient contactées sur X (ex-Twitter), puis cyberharcelées par des hommes qui les menaçaient de diffuser des informations confidentielles et photos intimes d’elles sur Internet dans le but de les forcer à devenir leurs esclaves sexuelles.
En échange d’un abonnement payant, des hommes avaient accès à plusieurs « salons », diffusant des contenus sexuels filmés plus ou moins extrêmes. C’est la Nth Room. L’accès à ce chatroom pouvait coûter entre 200.000 wons (soit 150 euros environ) et 1,5 million de wons (soit 1.100 euros environ) pour l’intégralité des contenus. À l’époque, la police avait évalué 60.000 à 100.000 abonnements à la Nth Room.
Résistance féministe
Les militantes féministes sud-coréennes veulent organiser la résistance dans la rue en manifestant masquées à Séoul. Mais la mobilisation s’organise également en ligne. Sur les réseaux sociaux, elles pointent du doigt l’insuffisance des actions menées pour lutter contre les deepfakes et déplorent que seuls les créateurs de ces canaux de diffusion soient visés par l’enquête et non l’ensemble des membres.
Comme elles peuvent, les militantes prennent les choses en main. L’une d’elles est parvenue à élaborer une carte rassemblant les différents signalements de deepfake afin d’identifier les établissements scolaires touchés par ces attaques. « C’est pour cette raison que les féministes sud-coréennes tentent de rendre cette affaire connue à l’international : pour des actions concrètes menées par la police, des conséquences à l’encontre de ces hommes et la justice pour les victimes », écrit une internaute sur X.
À lire aussi : CORÉE DU SUD : LES FEMMES ACCUSÉES D’ACCROÎTRE LE TAUX DE SUICIDE DES HOMMES
La récente explosion des deepfakes est symptomatique d’une misogynie ancrée dans la société sud-coréenne. Régulièrement, les militantes féministes dénoncent la montée du masculinisme dans le pays ainsi qu’au sein du gouvernement. Le président Yoon Suk-yeol, aux valeurs ultra-conservatrices, exprime régulièrement son hostilité envers les idées féministes et avait même envisagé de supprimer le ministère pour l’égalité des genres. Et, en juillet, un conseiller municipal de Séoul estimait les femmes et le féminisme responsables de la hausse du suicide des hommes. Les femmes sont alors incitées à délaisser leur carrière pour la sphère familiale. Mais elles sont de plus en plus nombreuses à rejeter ce modèle traditionnel. Les collectifs féministes gagnent en visibilité et s’emparent des réseaux sociaux pour dénoncer la réalité dissimulée derrière le Soft Power sud-coréen, porté par la K-pop et ses paillettes.
À lire dans Les Nouvelles News :
LA LUTTE CONTRE LA PORNOCRIMINALITÉ AVANCE
LOI DE RÉGULATION DU NUMÉRIQUE : ET LA PROTECTION DES FEMMES ?
COMMENT LES MASCULINISTES RÉDUISENT LES FEMMES AU SILENCE