Les réserves des musées sont remplies d’oeuvres de femmes. La découverte fortuite d’un tableau d’une peintre italienne caché dans la collection royale britannique donne un coup de projecteur sur ce phénomène qui contribue à l’invisibilisation des femmes artistes.
Le 24 septembre 2023, un tableau d’Artemisia Gentileschi, peintre italienne du XVIIème siècle, a été retrouvé dans les réserves du château de Hampton Court, ancienne demeure du roi Henry VIII. Désormais exposée au château de Windsor, près de Londres. Cela faisait plus de deux siècles que l’œuvre, qui représente la scène biblique (et d’agression sexuelle…) de « Suzanne et les deux vieillards », était attribuée à un artiste de l’école française. Conservé dans de mauvaises conditions, c’est couvert de poussières et le vernis abîmé que le tableau a été redécouvert.
Artemisia Gentileschi… et toutes les autres oubliées
Malheureusement, ce tableau est loin d’être le seul à avoir connu ce destin. Les réserves sont remplies d’œuvres conservées pendant plusieurs décennies sans être exposées. Autre exemple : la représentation religieuse de La Cène, peinte par l’italienne Plautilla Nelli en 1568 a été exposée pour la première fois à Florence, après avoir passé plus de 450 ans dans des lieux fermés au public. Lorsque l’on retrace l’itinéraire de ce tableau, on découvre qu’il a même été touché lors de l’inondation de Florence en 1966. Les exemples de négligence et de délaissement comme celui-ci sont pléthores…
Pourquoi les œuvres d’artistes femmes sont-elles tant sous-estimées ? Pour Eva Kirilof (autrice de la newsletter La Superbe), la réponse est claire : « L’art a toujours été un champ dominé par les hommes, écrit-elle dans sa bande dessinée Une Place (éd Les Insolentes, 2022) avant d’ajouter : Encore aujourd’hui, la parité homme/femme n’existe pas… c’est de la poudre aux yeux ».
Les expositions temporaires c’est bien, les collections permanentes c’est mieux
Afin de mettre fin à ce cercle vicieux, Camille Morineau, historienne de l’art et fondatrice de la base de données AWARE (qui vise à réhabiliter les artistes femmes dans le monde), lance en 2009 un projet inédit au Centre Pompidou : exposer uniquement des œuvres d’artistes féminines pendant deux ans dans l’exposition « elles@centrepompidou ». Elle avait alors déclaré qu’il y avait « assez d’œuvres réalisées par des femmes dans les réserves du musée pour raconter toute l’histoire de l’art des XXe et XXIe siècles ».
Ces dernières années, de nombreuses initiatives, comme celle-ci, ont permis la mise en lumière de réalisations d’artistes femmes : Pionnières au musée du Luxembourg, Elles font l’abstraction au Centre Pompidou ou encore Surréalisme au féminin au musée de Montmartre… Ces expositions temporaires ont le mérite d’attirer une attention nouvelle sur ces créatrices – car, rappelons-le, la plupart d’entre elles avaient déjà connu le succès de leur vivant, mais le système sexiste du monde de l’art les a plongées dans l’ombre… Or, aussi passionnantes que nécessaires, ces expositions reflètent également une sous-représentation de ces artistes dans les collections permanentes des musées… le véritable nerf de la guerre.
Quelques chiffres pour prendre conscience de l’ampleur du phénomène : sur les 35 000 œuvres exposées au musée du Louvre à Paris, seule une trentaine sont réalisées par des artistes femmes. Même constat au musée du Prado à Madrid : sur les 35.572 œuvres possédées par l’institution, 335, soit 1%, sont réalisées par des femmes. En outre, seules 84 d’entre elles sont effectivement exposées, le reste est conservé dans des lieux fermés aux visiteurs… En 2019, une étude menée par Artnet souligne que la proportion d’œuvres d’artistes féminines à intégrer les collections permanentes des musées… stagne ! Elle serait même en diminution depuis une dizaine d’années… Sur les 26 musées américains concernés par l’étude, seuls 11% des acquisitions et 14% des expositions concernent des artistes femmes.
De plus en plus de femmes à la tête des musées
Néanmoins, les choses sont en train de changer. Certaines des institutions artistiques les plus reconnues à l’international prennent un virage davantage égalitaire ! Le Louvre, le musée Rodin ou encore la Tate Modern à Londres sont désormais dirigés par des femmes. Et ça change la donne ! Dès sa nomination au début de l’année 2023, Karin Hindsbo, directrice de la Tate Modern, a annoncé vouloir poursuivre le travail de sa prédécesseure Frances Morris, à savoir : mieux représenter les artistes féminines. La promesse a été tenue puisque une extension du musée est désormais dédiée à une parité parfaite entre hommes et femmes et la moitié des rétrospectives à venir seront consacrées à des artistes féminines. Résultat : 36% des œuvres exposées sont désormais réalisées par des femmes.