
Le navire français « Droits de L’Homme » attaqué par deux frégates anglaises, l’Indefatigable et l’Amazon, janvier 1797 (domaine public), via Wikimedia Commons.
Parler de « droits de l’Homme » plutôt que de « droits humains » ? Seule la France s’obstine. Partout dans le monde, depuis des années déjà, les pays francophones et les ONG n’emploient plus le premier terme.
Un collectif entend faire enfin bouger les institutions françaises pour qu’elles remplacent « droits de l’Homme » par « droits humains », une terminologie plus « juste et universelle ».
Voir : « Qu’une institution change son intitulé, tout le reste suivra »
Et cela fait des années que l’Etat, français, régulièrement interpellé sur cette question, fait le mort, alors que partout ailleurs dans le monde la langue a évolué, avec les mentalités. Le Canada a choisi dès 1983 de remplacer officiellement « droits de l’homme » par « droits de la personne ». C’est en 1991 que la Suisse a décidé de parler de « droits humains ». Haïti et les pays d’Afrique francophone font de même. Dès 1993 sous l’égide des Nations Unies, un Forum des organisations non gouvernementales (ONG) adoptait une recommandation appelant à remplacer « droits de l’homme » par « droits humains » ou par « droits de la personne humaine ».
Sourde oreille
En 1998, par exemple, Amnesty International choisissait de remplacer l’expression « droits de l’homme » – à l’exception des documents historiques – par celles de « droits de la personne humaine », de « droits humains », ou de « droits de l’être humain » (avec un argumentaire à télécharger ici). Cette année-là, qui marquait le 50ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, elle appelait avec d’autres ONG les gouvernements et les Nations Unies à utiliser « un langage des droits de la personne humaine non discriminatoire, qui tienne compte de l’élément féminin ».
Si bien que la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) se sentait obligée de réagir, en estimant que « l’expression “Droits de l’Homme” a acquis un sens philosophique et politique précis » et que « rien ne justifie d’imposer une norme linguistique pour définir l’ensemble des droits fondamentaux du genre humain ». Avec cet argument qu’on retrouve toujours : « La réalisation concrète de l’égalité entre les femmes et les hommes implique un effort sans commune mesure avec celui que requiert un changement de mots. » Certes, mais est-ce une raison pour ne pas changer les mots ?
La France a même fait pression, en 2006, pour que le nouvel organisme créé à l’ONU cette année-là soit intitulé Conseil des droits de l’Homme, et pas des droits humains. La mobilisation du réseau ‘Encore féministe’, qui a interpellé le président de la République Jacques Chirac, n’y a rien changé.
2008 : Hessel pour les « droits de la personne »
La question revenait sur le tapis en France 10 ans plus tard à l’occasion du 60ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, en 2008. Un article signé par la journaliste du Monde Annick Cojean permet de s’en rendre compte. L’un des rédacteurs du texte, Stéphane Hessel (devenu quelques mois plus tard l’icône des indignés), conscient que « depuis 1948, la majorité des violations de droits touche les femmes », se déclarait « favorable à ce que les expressions “droits humains” ou, mieux, “droits de la personne” soient utilisées aussi souvent que possible dans les intitulés d’institutions, de commissions, ministères, ainsi que dans les discours ».
Mais « la France résiste, la France s’obstine », remarquait Annick Cojean. En citant aussi l’écrivaine Benoîte Groult : « Tout cela, “par fétichisme pour la belle révolution française ! Respectons l’événement historique, même s’il proclamait avant tout le droit des mâles ; mais de grâce, abandonnons ‘droits de l’homme’, qui ne correspond plus à la réalité” ».
Toujours d’après Annick Cojean, il s’en était pourtant fallu de peu qu’en 2007 le gouvernement se dote d’un secrétariat d’Etat aux « droits humains ». La titulaire du poste, Rama Yade, a regretté par la suite de n’avoir pas franchi le pas : « L‘administration française est conservatrice, attachée à la dimension historique des “droits de l’homme”. Et moi, je n’ai pas songé à discuter du titre ! »