Mythes, fait social ou anatomique… la virginité est au carrefour d’une multitude de croyances. Dans sa bande dessinée « Vierges », l’essayiste Élise Thiébaut lève le voile sur cette « folle histoire », reflet de la domination masculine. Rencontre avec l’autrice et la dessinatrice de cet essai graphique aussi drôle qu’instructif.
Histoire, médecine, religion… La virginité n’a jamais été passée à la loupe du féminisme ?
Élise Thiébaut : Jamais… alors même que la virginité est l’un – si ce n’est le ! – tabou fondateur du système patriarcal. L’idée avec cette bande dessinée était de retracer l’histoire de la construction socio-culturelle de la notion de virginité, du néolithique à nos jours. Encore aujourd’hui, les discours publics sont pétris de représentations et d’idées reçues sur le corps et la sexualité des femmes.
Elléa Bird : Le but était de combler un certain manque d’informations. Toutefois, nous n’avons pas conçu cette bande dessinée comme un manuel, un guide ou un tuto de « comment “bien“ perdre sa virginité ». C’est important de le préciser.
Élise Thiébaut : Il n’y a pas de “bonne manière“… c’est toujours le bordel (rires) ! D’ailleurs, ça nous paraissait important de mettre beaucoup d’humour et de légèreté dans le récit. Pourquoi ? Je me souviens encore, lorsque j’étais enfant, avoir lu les albums du dessinateur Gotlib. Les fous rires que j’ai pu avoir… C’est les réactions que j’aimerais provoquer avec « Vierges ». Lors de nos échanges avec Elléa, j’étais parfois pliée en deux face à ses dessins. Le rire est selon moi la meilleure manière d’apprendre !
En menant cette enquête historique, vous remontez aux origines les plus lointaines de la notion de virginité, on réalise alors que la sacralisation de la virginité est (quasi) universelle. Comment l’expliquez-vous ?
ET : C’est l’éternelle question de l’appropriation du corps des femmes… Pour asseoir la domination masculine et la place des hommes en tant que souverains, il a fallu trouver un moyen de contrôler le corps, et donc la vie, des femmes. Un ensemble de pratiques et de coutumes se sont construites autour de cette sacralisation du corps de vierge.
EB : C’est ça qui est intéressant je trouve, de voir à quel moment le discours tenu sur la virginité a basculé dans quelque chose qui vise à contrôler les femmes. Au fil de nos recherches pour la BD, j’ai découvert et appris énormément. Par exemple, dans la mythologie, les déesses dites « chastes » ne sont pas nécessairement vierges. Je ne savais pas qu’il y avait une différence…
Toutefois, il existe certaines cultures à l’opposé de ce système patriarcal !
ET : Tout à fait. Plusieurs sociétés dites matriarcales et matrilinéaires – où la filiation s’opère par la mère et non pas par le père et le mari – existent. Sans faire un tour du monde des cultures, on souhaitait les mentionner. C’est passionnant de voir le fonctionnement de ces sociétés et ça invite à la remise en question de la nôtre.
EB : Il y a un exemple marquant : chez les Moso, en Chine, les premières règles d’une femme font l’objet d’une célébration. Elle reçoit alors la clé d’une chambre, où elle peut recevoir ses amants, le tout sans aucun jugement.
Au fil de vos recherches, il n’est jamais question de la « virginité masculine ». Est-ce un non sujet dans l’Histoire ?
ET : Ce n’est pas un non sujet mais la virginité des garçons et celle des filles sont évoquées de manière diamétralement opposée. La coutume voulait que le garçon aille au bordel se faire « dépuceler » par une prostituée.
EB : C’est certain que le risque pris par les hommes n’est pas égal à celui pris par les femmes. Les implications ne sont pas les mêmes. Il faut d’ailleurs concevoir le tabou de la virginité avec le risque de grossesse des jeunes filles non mariées.
À force de sacraliser la virginité, des pratiques comme l’hyménoplastie sont de plus en plus courantes…
ET : L’hyménoplastie est une intervention chirurgicale qui consiste à “recréer“ l’hymen, la membrane située à l’entrée du vagin. C’est cette partie du corps qui peut causer des saignements lors des premiers rapports sexuels. Il n’existe aucune statistique ou donnée officielle sur l’hyménoplastie, mais elle serait relativement courante. Pour certaines femmes, c’est littéralement une question de vie ou de mort. En retraçant l’histoire de la virginité, on a voulu montrer l’absurdité de sa sacralisation. À une époque, il était courant, lors de la nuit de noce, de verser du sang de poulet sur les draps, simplement pour le symbole de tacher les draps…
EB : D’ailleurs, saigner lors de son premier rapport sexuel n’est pas systématique. J’ai consacré une planche entière aux différentes formes d’hymen. Et il en existe un tas ! Parmi mes sources d’inspirations, j’ai consulté de vieilles planches anatomiques. J’ai été sidérée de voir comment le sexe féminin était représenté. La moitié des éléments manquaient et le clitoris n’était presque jamais mentionné.
Et justement, des vulves figurent sur la quasi totalité des planches de la BD ! La représentation du sexe féminin a, elle aussi, longtemps été tabou…
EB : Absolument. Au collège et au lycée, des sexes masculins sont dessinés, de manière très sommaire, un peu partout, par les élèves. Tout le monde sait comment s’y prendre pour l’illustrer. Ce n’est pas un tabou. Alors que la mention même du vagin, de la vulve ou du clitoris est source de honte pour les jeunes filles. De fait, c’est plus difficile de se représenter un sexe féminin et de l’illustrer, même de manière simplifiée… Ça entretient le côté mystique. Dans la bd, j’ai voulu en dessiner le plus possible afin de s’habituer à en voir et à en parler !
« Vierges, la folle histoire de la virginité » d’Élise Thiébaut (scénario) et Elléa Bird (dessin). Éd Le Lombard, 96 pages, 15,95€.