A la suite de plusieurs pays d’Amérique latine, l’Équateur va faire du féminicide – meurtre d’une femme en raison de son sexe – un crime spécifique dans son nouveau code pénal.
A la fin du mois de mai, les parlementaires équatoriens devraient approuver la réforme du code pénal, initiée par le Congrès fin 2011. Et désormais ils prévoient d’y inclure le crime spécifique de féminicide.
Les premières statistiques nationales sur la violence de genre en Équateur ont été publiées en 2012, indiquant que 60% des femmes, dans ce pays d’Amérique du Sud, ont été victimes d’une forme de violence.
Le projet de loi décrit le féminicide comme le meurtre d’une femme « du fait qu’elle est une femme, dans des circonstances clairement établies ». Et de lister ces circonstances : le meurtrier avait tenté, sans succès, d’établir ou de rétablir une relation avec la victime ; ils avaient des liens familiaux ou conjugaux, vivaient ensemble, étaient en couple, amis ou collègues ; le meurtre était la conséquence d’une « manifestation répétée de violences contre la victime » ou d’un forfait collectif, avec ou sans arme. La peine encourue est de 28 ans de prison.
Qu’est ce qui a conduit l’Équateur à spécifier le crime de féminicide ? Avant tout, les chiffres.
Les études universitaires et les rapports de police font état d’une augmentation significative des crimes contre les femmes. L’Observatoire de la sécurité publique de la capitale, Quito, a relevé 21 féminicides en 2012. Dans la ville la plus peuplée du pays, Guayaquil, sur la côte pacifique, sur les 137 meurtres de femmes commis entre janvier 2010 et juin 2012, 47 étaient des féminicides. Et seules 4 affaires ont abouti à une condamnation, selon un rapport publié le 14 mars par le Centre de Promotion et d’Action des Femmes (CEPAM).
Sur les 60% de femmes ayant déclaré avoir subi des violences, dans l’enquête nationale publiée en 2012, les trois quarts (76%) ont été victimes de leur partenaire ou ex-partenaire. Deux femmes sur 5 ont déclaré avoir été victimes de violences physiques, une sur 4 de violences sexuelles. La violence est autant présente en ville que dans les campagnes, et touche toutes les classes socio-économiques. Chez les 20% les plus pauvres comme chez les 20% les plus riches, le taux de victimes déclarées dépasse les 50%.
Une autre raison tient à l’onde de choc provoquée par de récents meurtres de jeunes femmes.
Karina del Pozo, 20 ans, a disparu à Quito le 20 février. Son corps a été retrouvé huit jours plus tard dans un terrain vague au nord de la ville, portant des traces de viol et un coup à la tête ayant provoqué sa mort. Selon l’enquête, elle aurait été tuée par trois jeunes hommes de sa connaissance après avoir refusé de coucher avec l’un d’eux.
A la mi-février, le corps d’une adolescente de 16 ans, montrant des signes de violences sexuelles, a été découvert dans un sac de toile dans la province de Cotopaxi. A la fin du mois,Gabriela León, 24 ans, a été étranglée et son corps jeté à la décharge, dans la ville d’Ibarra.
Des milliers de personnes sont descendues dans les rues pour demander davantage de sécurité, et les familles des victimes ont appelé à classer le féminicide comme un crime spécifique.
Pour la psychologue Angélica Palacios,spécialisée dans la protection des victimes de crimes sexuels, « ce sujet concerne les relations de pouvoir au sein de la famille, du monde du travail et des systèmes sociaux ».
Le féminicide est « le fait de tuer une fille, une adolescente ou une femme parce qu’elle est une femme, ou à cause des constructions culturelles qui font penser aux hommes qu’ils ont du pouvoir sur les femmes dont ils sont proches », explique María Paula Romo. Pour cette parlementaire du parti d’opposition de gauche Ruptura 25, l’inclusion du féminicide dans le code pénal est une réponse au « besoin de rendre visible cette forme de violence extrême à l’encontre des femmes, que ses caractéristiques rendent très différentes des autres formes de meurtre ».
Elle ne croit pas, pour autant, que le fait de nommer le crime entraînera des changements. « Appeler le crime par son nom n’aidera pas à l’empêcher ou l’éviter. Mais c’est un outil pour mobiliser l’attention, sensibiliser les gens sur la question pénale, et aussi obtenir de meilleures informations statistiques qui pourront permettre de changer les choses ».
En intégrant le féminicide dans son code pénal, l’Équateur suit les pas d’autres pays d’Amérique Latine : l’Argentine, la Bolivie, le Chili, le Costa-Rica, El Salvador, le Guatemala, le Mexique et le Pérou. Mais dans plusieurs d’entre eux – notamment le Mexique ou le Guatemala – cette classification n’a pas permis, à ce jour, de contenir la vague de violence contre les femmes.
© 2013 IPS-Inter Press Service
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Photo © CEPAM Quito – Atelier de prévention sur les violences conjugales