Selon les intérêts des uns et des autres, ce type de manipulation réapparait régulièrement.
Il y a quelques jours, la déclaration du ministre tunisien de l’Intérieur faisait grand bruit. Lotfi Ben Jeddou s’inquiétait, sans plus de précision, de ces Tunisiennes se rendant en Syrie pour pratiquer le « jihad du sexe ». La presse embrayait alors : « Des Tunisiennes rejoignent le pays pour assouvir les besoins sexuels des combattants islamistes. »
Indignation précoce ? Il semble aujourd’hui qu’il s’agisse surtout d’un fantasme. Pas vraiment étonnant, quand on voit la propension des médias occidentaux à s’indigner à peu de frais de l’obscurantisme islamiste, pour mieux ignorer le sexisme à leur porte (Voir : Haro sur le Cheikh saoudien, pas sur les manipulations bien de chez nous). Déjà, en janvier, une fausse rumeur sur une fatwa autorisant les combattants à contracter des « mariages temporaires » (autrement dit, violer) avec des Syriennes avait été allègrement diffusée (Voir : La fausse fatwa et les vrais viols de guerre).
« Le jihad du sexe n’a jamais existé », assure Ignace Leverrier qui, sur son blog « Un œil sur la Syrie », y voit surtout la patte du régime de Bachar El-Assad. Aucun témoignage crédible n’existe, ce que confirme Amna Guellali, chercheur pour Human Rights Watch, au magazine Foreign Policy (repris par Slate Afrique) : « Tout ce que j’ai entendu n’était que des allégations qui n’ont rien à voir avec un rapport sérieux sur la question ». Pour Foreign Policy, ce sont aussi « les médias pro-Assad qui ont fait circuler cette idée d’un «djihad du sexe» comme une manière d’anéantir les adversaires du régime baassiste. »
Et pourquoi le ministre tunisien se serait prêté à cette propagande ? Foreign Policy rappelle que « peu de temps avant » une polémique avait éclaté : « les autorités tunisiennes avaient annoncé que, désormais, les femmes devront avoir une autorisation de leur mari ou de leur père pour pouvoir voyager à l’étranger, notamment dans certains pays du Proche-Orient [il s’agissait en fait d’allégations jamais officiellement confirmées ndlr]. Alors pour tenter de calmer la vague de critiques qui a suivi, Lotfi Ben Jeddou a voulu faire croire que cette décision avait été prise, précisément pour protéger les Tunisiennes, dont certaines sont embarquées dans un ‘djihad du sexe’ en Syrie. Et comme la lutte contre les salafistes est un cheval de bataille du ministre, l’on peut imaginer que cette annonce était aussi une façon de discréditer les rebelles syriens.
Mais le magazine va plus loin : si ‘jihad du sexe’ il y a chez des Tunisiennes, ce n’est pas en Syrie, mais dans le pays même ; « dans les monts Chaambi, au nord-ouest de la Tunisie, théâtre de violents affrontements entre l’armée et les djihadistes. Plusieurs jeunes filles arrêtées là-bas auraient été impliquées dans cette pratique. »