« Portrait de la jeune fille en feu » de Céline Sciamma, présenté en compétition au festival de Cannes le 21 mai dernier est une réussite totale.
En choisissant ce titre, hésitation : vous pourriez penser lire la critique d’un film érotico-porno. Puis, réflexion : pourquoi ce genre d’expression nous fait-elle embrayer aussitôt sur des sous-entendus sexuels ? C’est sans doute affaire de regard, ce qui tombe bien car c’est le sujet majeur de « Portrait de la jeune fille en feu ». A la fin du 18ème siècle, pendant une dizaine de jours, dans un château isolé sur une île bretonne perdue, une jeune peintre (Noémie Merlant) regarde intensément une autre jeune fille (Adèle Haenel) qui refuse de poser puisque ce portrait est destiné à son futur mari milanais, qu’elle refuse d’épouser.
Un des gros paris de ce film est de décider de parler des femmes entre elles, sans les hommes. Aucun personnage masculin dans le scénario en dehors du matelot qui dépose la peintre sur l’île, de l’hypothétique mari que l’on ne voit jamais, et d’un inconnu qui a engrossé la servante du château. Peu d’hommes au tournage également, puisque Céline Sciamma (« Naissance des pieuvres », « Tom Boy », « Bande de filles »), est produite par une femme (Bénédicte Couvreur), et que l’équipe de tournage est très féminine. Alors oui, il y a du sexe dans ce « Portrait… » Mais il y a beaucoup plus : du désir, des sentiments, des jeunes filles en robes arpentant des falaises battues par le vent, des souvenirs des films de Jane Campion, des livres de Charlotte Brontë, tout un univers que la réalisatrice sait moderniser à travers une histoire d’amour passionnelle et empêchée.
L’autre pari de ce film, le plus difficile et le plus réussi, est de nous émouvoir. Pour cela, la réalisatrice choisit l’épure : simplicité des décors et des costumes pour ces jeunes bourgeoises, qui ne portent aucun bijou et ont en tout et pour tout une robe chacune. Les dialogues sont simples et forts, le rythme lent. Pas de musique autre que « live », ce qui rend encore plus magnifiques les rares moments où l’on entend des notes, le chant de bretonnes la nuit devant un feu de joie ou un orchestre jouant une saison de Vivaldi.
Portrait de la jeune fille en feu est un portrait en creux de la réalisatrice bien sûr, du regard d’une artiste sur son héroïne, Adèle Haenel, son alter ego à la manière de ce que fut Jean-Pierre Léaud pour Truffaut. On y sent aussi un idéal de monde de sororité, de complicité dans les relations entre les personnages. Et c’est enfin une belle manière de rendre à ces femmes du 18ème siècle leur corps, leurs désirs, leur droit à faire de leur vie ce qu’elles veulent. Bref, leur liberté.
Ce qu’en dit la réalisatrice :
Ce n’est pas parce que les problématiques sont anciennes qu’elles n’ont pas leur actualité. Surtout quand il s’agit d’une histoire si peu racontée. Celle des artistes femmes et même celle des femmes tout court. Quand j’ai rencontré le travail de ses peintres oubliées, j’ai ressenti une grande excitation et une tristesse aussi. La tristesse de l’anonymat total de ces œuvres condamnées au secret.
Il y avait aussi l’envie d’une histoire d’amour avec de l’égalité. Une histoire d’amour qui ne repose pas sur des hiérarchies et des rapports de force et de séduction qui préexistent à la rencontre.
C’est le film entier qui est régi par ce principe dans les rapports entre les personnages. L’amitié avec Sophie, la servante, qui dépasse le rapport de classe. Les franches discussions avec la Comtesse qui a elle-même des désirs, des aspirations. J’avais envie de solidarité et d’honnêteté entre les personnages.