Le jeu vidéo événement Grand Theft Auto 5 mérite un 9/10, mais il est profondément misogyne : pour cette dernière critique, une journaliste déclenche une nouvelle vague de commentaires sexistes.
Le 5ème opus du jeu Grand Theft Auto est enfin de sortie, à la grande joie des gamers et gameuses. Car le jeu vidéo est culte : dans la peau d’un (ou plusieurs) gangster, le joueur (ou la joueuse) peut profiter d’un espace ouvert en toute liberté, de scénarios sophistiqués, et choisir parmi un panel de violences raffinées à infliger.
Mais ce « voyage à Los Santos pourrait laisser quelques cicatrices psychologiques », blessures infligées aux joueurs eux-mêmes, et surtout aux joueuses : c’est la conclusion de Carolyn Petit, gameuse et critique de jeux vidéos chez Gamespot.
« Inutile malveillance misogyne »
Dans son banc d’essai de GTA 5, il est question du « sexisme profond », non pas des personnages (qui sont de beaux salauds, on est d’accord), mais bien du jeu lui-même, avec des constats sans appel :
Aucun personnage féminin consistant, si ce n’est des prostituées, des victimes, des petites amies qui manquent d’humour ou… des féministes dont on est prié de se moquer ; injures et dévalorisations constantes des femmes, venant des gangsters ou de stations de radio…
« Oui, ce sont des caricatures de traits misogynes de notre société, mais elles ne sont pas satiriques. Rien dans le scénario ne sous-entend à quelque point c’est insensé ; tout ce que le jeu fait est de renforcer et de célébrer le sexisme », souligne la journaliste.
En vraie mordue, elle donne quand même une note de 9/10 à GTA V. Il faut dire qu’elle détaille de façon très professionnelle les points positifs du jeu et ses nouveautés sur une page et demie, annonçant néanmoins d’entrée de jeu « GTA V est un jeu compliqué et fascinant, qui cafouille ça et là, et qui est traversé tout du long par une inutile malveillance misogyne ».
Il fallait du courage pour dénoncer le sexisme d’un tel jeu en connaissance de cause – celle du sexisme proverbial des gamers eux-mêmes, qu’elle aurait à affronter. Mar_Lard, geek féministe, en avait fait les frais en publiant deux articles qui ont fait le tour de la toile.
Mépris et soutiens
Et c’est encore Mar_Lard qui lance l’alerte sur Twitter, quand la cascade attendue d’injures suit la publication de l’article de Carolyn Petit, rivalisant de misogynie et de mépris : commentaires nauséabonds sur le physique de la journaliste (qu’on ne citera pas ici), sur son sexe (« Voilà ce qui arrive quand on laisse une fille faire la critique d’un jeu vidéo ») ou d’autres « ce jeu n’est pas pour vous » (« GTA est un jeu de mec, fait pour les mecs »).
Mais l’enjeu est important pour les gamers et gameuses : il s’agit de changer les mentalités, et donc les représentations des femmes dans les jeux vidéos. C’est ce que tweete Graham Lineham, réalisateur TV irlandais :
« Critiques de jeux vidéos ! Si vous enleviez un ou deux points pour misogynie, les créateurs de jeu vidéo pourrait bien arrêter avec toute cette misogynie. »
Anita Sarkeesian, sociologue américaine spécialisée de la représentation des femmes dans la culture populaire et auteure du blog-vidéo Feminist Frequency (et elle aussi habituée des attaques sexistes) fait aussi parti des supporters publics de Carolyn Petit :
« Je soutiens @carolynmichelle [alias Carolyn Petit] et les quelques critiques de jeux vidéos qui ont les tripes de parler de la misogynie rampante qui imprègne Grand Theft Auto. »
« Ces dernières années, j’ai senti une lente progression vers l’intégration et un changement dans le jeu. Ca me donne de l’espoir. »
Et en effet, à la lecture de quelques commentaires parmi près de 15 000, il semble que tout espoir ne soit pas perdu :
« Superbe critique, heureux que tu ne sois pas passé au-dessus du sexisme comme d’autres critiques l’ont fait, éblouis par les belles images. Triste temps en effet quand la section commentaires vous fait honte d’être un joueur… »
D’ici le prochain GTA, les créateurs sauront-ils rectifier le tir ? Car il se pourrait que le sexisme du monde geek se fissure de l’intérieur sous les coups des critiques : un peu de violence parfois, ça fait du bien.