De récentes prises de position ont relancé le débat sur l’accompagnement sexuel des personnes dépendantes. Au droit à la sexualité pour tous s’oppose le refus de la marchandisation des rapports sexuels. S’agirait-il de légaliser une forme de prostitution ?
Un colloque et un projet de loi encore en gestation… voilà qui suffit à relancer le débat, toujours sensible, sur les services sexuels aux handicapés. Le député UMP Jean-François Chossy était rapporteur de la loi de février 2005 « pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ». Il veut aujourd’hui aller plus loin, en amendant cette loi pour ouvrir la voie à l’accompagnement sexuel des personnes dépendantes. « On peut également envisager de faire évoluer la législation très ancienne sur le proxénétisme et la prostitution », annonçait-il dans le magazine Elle le 27 novembre.
Le terrain est miné, admet le député qui veut se placer sur celui du « droit à la sexualité pour tous ». Une approche qui semble avoir de plus en plus d’écho en France. Jean-François Chossy a d’ailleurs évoqué sa proposition de loi à l’occasion d’un colloque organisé le 26 novembre à Paris sur le thème : « Handicap, Affectivité, sexualité, dignité ». En fait de colloque, un outil de promotion de ces services sexuels, dénonce un collectif d’associations mené par « Femme pour le dire, Femme pour agir » (FDFA), association de femmes handicapées.
Service ou marchandise ?
Oui, disent 17 associations et 122 personnalités dans une lettre ouverte : il existe un tabou qu’il faut lever. « Il est temps de trouver des réponses aux désirs d’affectivité, d’intimité, de sexualité des personnes handicapées. » Mais hors de question à leurs yeux de chercher ces réponses dans le « domaine marchand », en officialisant les rapports sexuels tarifés, « définition même de la prostitution ». Pire, « ce serait consacrer la prostitution, désormais assortie de formations, au titre de ‘service à la personne’. »
L’autre camp ne manque pas de soutien. Quatre associations d’envergure – AFM (Association Française contre les Myopathies), APF (Association des Paralysés de France), CHA (Coordination Handicap Autonomie) et Handicap International – ont mis en place en 2008 un collectif « Handicap et sexualité ». Lequel entend notamment appuyer « la mise en place de services d’accompagnement érotique et/ou sexuel ». Les tenants de l’accompagnement s’appuient sur les modèles qui se sont développés ces dernières années aux Pays-Bas, en Allemagne, ou plus récemment en Suisse (1).
La fin de l’abolition ?
La France pourrait-elle alors, par cette voie, revenir sur l’abolition, sa position depuis l’après-guerre ? Dès 2008, le Mouvement du Nid, militant pour une société sans prostitution, y voyait « un cheval de Troie pour l’industrie du sexe, une porte d’entrée politique pour la reconnaissance de la prostitution ».
D’autant que le débat ne s’arrête pas à la question des personnes handicapées. Au printemps 2010 la députée UMP Chantal Brunel a lancé un groupe de réflexion à l’Assemblée sur la prostitution. Elle se dit elle-même favorable à la réouverture des maisons closes. En évitant le terrain moral, elle se démarque du discours abolitionniste. « Il est inutile de se voiler la face : la prostitution continuera encore d’exister. Tant que les mentalités ne changeront pas, il est impératif que ces filles soient au moins protégées », expliquait-elle sur Rue89.
Et si la polémique est vive entre abolitionnistes et partisans d’un encadrement législatif, la question a encore du chemin à parcourir pour intégrer le débat public. « C’est un sujet plein de tabous, d’interdits, à mille lieux des préoccupations des Français », juge Jean-François Chaussy. Pour Chantal Brunel, « c’est un sujet difficile pour les parlementaires, en particulier les parlementaires masculins dont l’intérêt pour le sujet peut prêter à ironie. »
Pour aller plus loin : Un dossier réalisé en 2008 par le Mouvement du Nid. Handicap : accompagnement sexuel ou prostitution ? |
Image : Ruedi Rätz © 2009/10 sehp.ch
(1) Le SEHP, association d’assistants sexuels créée en 2008 en Suisse romande, présente ainsi le rôle de l’assistant sexuel (qui d’ailleurs est le plus souvent une assistante) : « Par incapacité physique, manque de motricité cohérente, faiblesse musculaire ou membres fragiles ou déformés, la personne en situation de handicap peut avoir des difficultés à accéder à son corps, le découvrir, le toucher, s’approprier son corps érotique, etc. Pour les personnes ayant une déficience intellectuelle, le rôle de l’assistant peut être d’accompagner la personne dans ses apprentissages, mieux connaitre le fonctionnement de son corps, connaitre le corps de l’autre, etc. Pour les couples, l’assistant sexuel peut jouer le rôle du tiers qui aide les deux personnes à se retrouver dans leur relation intime de la manière qu’ils souhaitent. L’assistant ou assistante sexuelle est formé-e pour pouvoir accompagner ou aider la personne en situation de handicap qui le demande à : identifier ses besoins, chercher ensemble la façon dont va se dérouler leur temps de rencontre, et surtout aider à trouver ou à retrouver ses propres sensations et émotions. Le tout allant aussi dans le sens de favoriser l’autonomisation de la personne bénéficiaire et si possible lui permettre de rencontrer à terme un ou une partenaire, enrichi-e dune sécurité nouvelle pour s’y lancer. »