Cette édition des César 2024 était historique pour le mouvement #MeToo du cinéma français. Très attendue, l’actrice Judith Godrèche a marqué la cérémonie d’un puissant et courageux discours. Elle y dénonce notamment le silence assourdissant de l’industrie du cinéma.
Présidente des César 2024, Valérie Lemercier a donné le ton dès le début en saluant celles et ceux qui parlent. Juste avant de déclarer ouverte la 49e cérémonie des César, elle annonce : « Je ne quitterai pas ce plateau sans louer celles et ceux qui font bouger les us et coutumes d’un très vieux monde où les corps des uns étaient implicitement à la disposition des corps des autres ».
Avec les récentes déclarations et prises de paroles, le #MeToo du cinéma français est en route et rien ne semble pouvoir l’arrêter. Elles sont nombreuses à ne plus vouloir se taire et à dénoncer les violences subies. Un #MeTooGarçons a même été lancé ces derniers jours par l’acteur Aurélien Wiik. Celui-ci révèle avoir été victime d’agressions sexuelles dans sont enfance, notamment de la part de son agent. Le hashtag est une invitation à aussi libérer la parole des hommes.
Cette cérémonie des César était donc une soirée attendue, avec l’espoir d’entendre d’autres voix s’élever pour dire « Stop aux violences sexistes et sexuelles ! ». Il y a à peine quelques semaines, en Espagne, le « ¡Se acabó! » (trad. C’est fini !) a quant à lui fortement résonné et marqué la cérémonie des Goya (Lire : VIOLENCES SEXUELLES : LE CINÉMA ESPAGNOL DU CÔTÉ DES VICTIMES).
Le discours engagé de Judith Godrèche
On en espérait autant en France. En cela, le discours de Judith Godrèche restera un moment fort et historique du cinéma français. Dès l’annonce de sa présence aux César 2024, celle qui a porté plainte pour viol et violences sexuelles contre les réalisateurs Benoît Jacquot et Jacques Doillon (à écouter ici) était très attendue. Devenue le visage du #MeeToo du cinéma français, Judith Godrèche a délivré pendant presque 7 minutes un discours aussi puissant que poignant, largement ovationné par l’assemblée de l’Olympia.

« C’est compliqué de me retrouver devant vous tous ce soir, vous êtes si nombreux mais dans le fond j’imagine qu’il fallait que ça arrive » commence Judith Godrèche avant de se décrire comme « une revenante des Amériques qui vient donner des coups de pied dans la porte blindée ». Dans son discours, elle met en lumière les victimes de violences sexistes et sexuelles dans le cinéma : « Depuis quelques temps la parole se délie. L’image de nos pères idéalisés s’écorche, le pouvoir semble presque tanguer… » et dénonce le déni, l’impunité et le silence qui entoure ces violences : « Depuis quelques temps, je parle, je parle mais je ne vous entends pas, ou à peine. Où êtes-vous ? Que dites-vous ? Un chuchotement, un demi-mot, ce serait déjà ça ». Elle poursuit : « Pourquoi accepter que cet art que nous aimons tant, cet art qui nous lie, soit utilisé comme couverture pour un trafic illicite de jeunes filles ? » […] Ayons le courage de dire tout haut ce que nous savons tout bas.» Avant d’ajouter qu’elle continuera et ne lâchera rien : « Il faut se méfier des petites filles, elles touchent le fond de la piscine, elles se cognent, elles se blessent mais elles rebondissent.»
Dans ma rébellion, je pensais à ce terme qu’on utilise sur un plateau : « Silence, moteur demandé ». Ça fait maintenant 30 ans que le silence est mon moteur.
Judith Godrèche
Deux jours après la cérémonie, Judith Godrèche était l’invitée de “En société” sur France 5. A cette occasion, elle explique avoir beaucoup hésité avant de prendre la parole aux César. Cette dernière évoque notamment la crainte d’amener sa solitude au milieu d’une cérémonie festive. Quand le présentateur Karim Rissouli revient sur le silence des hommes durant la cérémonie, Judith Godrèche tempère : « Le silence peut aussi être une stupeur, un moment de déconstruction » Ajoutant que l’impunité est soutenue par ce déni collectif, elle insiste sur la nécessité de libérer la parole « pour que ce système ne puisse plus tenir debout ». Et de conclure : « J’en sais trop pour m’arrêter là ».
Soutiens de femmes à Judith Godrèche sur la scène des César
Après ce puissant discours, quelques femmes sur la scène de l’Olympia (Bérénice Bejo, Justine Triet, Ariane Ascaride…) ont salué Judith Godrèche et/ou fait allusion à cette importante prise de parole. Mais il est difficile de s’en satisfaire. Qu’ont dit les hommes ? Lors de la cérémonie, ces derniers se sont illustrés par leur silence sur ce qu’on peut désormais appeler le #MeToo du cinéma français.
Très belle intervention, en revanche, d’Audrey Diwan qui a rendu hommage à Judith Godrèche et à toutes celles qui ont pris la parole : « Il faut du courage pour dire sa vérité » avant de terminer son intervention par une question : « On est d’accord qu’ici personne ne soutient les violences sexistes et sexuelles ? ». A ce moment-là, pas d’ovation. C’est plutôt le silence qui a primé… La veille des César, Audrey Diwan déclarait au micro de France Inter que la prise de parole avait toute sa place dans la cérémonie. Elle espérait même vraiment que Judith Godrèche prenne la parole : « Je pense que le relai de cette parole est important, parce que nous sommes une industrie qui est en train de réfléchir sur ces questions-là et qui a besoin d’entendre ».
Valérie Donzelli et Audrey Diwan ont remporté le César de la meilleure adaptation pour le film L’amour et les forêts qui traite des mécanismes et de la dérive de l’emprise narcissique d’un homme sur sa femme. Valérie Donzelli a alors déclaré qu’à la lecture du livre d’Eric Reinhardt elle ne saurait pas exactement ce que serait son film mais « Ce que je savais au plus profond de moi c’était que l’héroïne à la fin serait vivante. Parce que je voulais que ce soit une promesse vers de la lumière. Je crois que le cinéma peut aussi réparer ».
Dans la même veine, le César de la meilleure actrice de second rôle a été décerné à Adèle Exarchopoulos. Ce César récompense son rôle dans Je verrai toujours vos visages de Jeanne Herry, où elle interprète Chloé, une jeune femme qui dénonce l’inceste subi par son frère alors qu’elle était enfant.
Lire : César 2024 : le triomphe d’Anatomie d’une chute
César d’honneur pour Agnès Jaoui
Très ému de remettre le César d’honneur à une personne qu’il « aime profondément », Jamel Debbouze a salué la carrière d’Agnès Jaoui mais aussi la femme engagée qu’elle est. Dans son discours, il évoque « une des comédiennes les plus engagées dans le combat contre les inégalités, les violences, toutes les violences, les à priori, la médiocrité ou la petitesse. Ce ne sont pas des mots chez Agnès Jaoui, c’est viscéral, elle fait ça tout le temps, partout, au cinéma et dans la vie. Je l’ai toujours vue défendre les plus faibles, tordre la gueule à la condescendance, au mépris ou au racisme ordinaire.»
Seule femme du cinéma français à avoir remporté 6 César (actrice, réalisatrice et 4 comme scénariste), Agnès Jaoui est montée sur la scène de l’Olympia pour recevoir son 7e César, cette fois d’honneur. Elle a bien sûr remercié l’académie pour cet honneur qui lui était fait sans oublier celui qui fut son époux pendant 25 ans et son binôme, même après leur séparation : « Je sais qu’en m’offrant ce prix, vous saluez aussi le travail que j’ai accompli avec Jean-Pierre Bacri ».
Puis, sortant un ukulelé de dessous le pupitre, elle déclare avoir toujours rêvé de faire l’Olympia et pousse la chansonnette. Fidèle à elle-même et à ses convictions, elle n’oublie pas dans sa chanson de faire une petite pique à l’attention de l’industrie cinématographique : « César […] bien sûr tout n’est pas parfait, il reste deux-trois choses à régler pour atteindre la parité. Bien sûr, les films du milieu sont à la traîne et l’argent va toujours aux mêmes.»
Protestations à l’extérieur de l’Olympia
Des voix se sont donc faites entendre à l’intérieur mais aussi à l’extérieur. A l’initiative de la CGT Spectacle, un rassemblement était organisé devant l’Olympia où s’est tenue la cérémonie. Le slogan « Les violences, le silence, ça suffit » était de mise et des prises de paroles se sont succédées pour protester contre les violences sexistes et sexuelles et contre le silence qui les entoure.
Lors de son discours et après avoir remporté le César du meilleur court métrage documentaire, la réalisatrice Gala Hernández López n’a pas hésité non plus à faire entrer cette voix extérieure à l’intérieur de l’Olympia. Elle a fait part haut et fort de la tenue de cette manifestation, n’hésitant pas à préciser que si elle n’avait pas été nominée ce soir, elle aurait, elle aussi, été dehors avec ses amies féministes. Le collectif 50/50, dont elle arborait fièrement le badge, était d’ailleurs présent à ce rassemblement.


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