Huit femmes sur dix prennent le nom de leur conjoint après s’être mariées aux Etats-Unis. Un peu moins en France. Elles subissent une forte pression sociale pour renoncer à leur nom.

Pourquoi les femmes décident-elles de prendre, ou non, le nom de leur mari ? C’est l’objet d’une récente étude, menée par le Pew Research, qui s’intéresse aux choix des couples hétérosexuels mariés aux États-Unis. Les résultats de cette étude révèlent que 79% des femmes prennent encore le nom de leur conjoint après le mariage, 14% gardent leur nom de naissance et 5% décident d’accoler les deux noms. Pour les hommes, les pourcentages sont bien différents : 92% gardent leur nom, 5% prennent celui de leur partenaire et seulement 1% collent les deux noms. Pourquoi une telle disparité ? Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte.
Et en France ? Il existe peu de données sur le choix des femmes de prendre, ou non, le nom de leur mari. Toutefois, une étude IFOP, commandée par L’Express en 2022, révèle une tendance aussi marquée qu’aux USA : 80% des femmes mariées déclarent porter le nom de leur mari. Néanmoins, lorsqu’on décompose ce pourcentage, on constate qu’il varie selon les tranches d’âge. En effet, les « 65 ans et plus portent à 90% le nom de leur mari, alors que 5% conservent le leur et 5% s’affichent avec les deux ». Les « 18-34 ans ne portent, elles, plus qu’à 60% le patronyme de leur mari contre 26% leur nom de naissance et 13% les deux ». Une proportion qui reste très importante mais traduit l’amorce d’un changement chez les jeunes générations.
Que dit la législation ?
Aucune obligation (juridique) en France ne contraint les femmes à prendre le nom de leur mari après s’être mariées. Pour rappel : « chacun des époux peut porter, à titre d’usage, le nom de l’autre époux, par substitution ou adjonction à son propre nom dans l’ordre qu’il choisit, dans la limite d’un nom de famille pour chacun d’eux » selon l’article 225-1 du Code civil. En effet, personne ne « perd » le nom de famille inscrit sur son acte de naissance. Cela est impossible. En revanche, c’est le nom d’usage (à ne pas confondre avec l’état civil), utilisé au quotidien, qui est modifié.
« 20 ans d’indépendance fiscale ont volé en éclat »
Surtout que, contrairement à ce que prévoit la loi, garder son nom de naissance lorsqu’on est une femme n’est pas si aisé. Il faut affronter l’administration française qui choisit le plus souvent le nom du mari. En 2021, le collectif féministe Georgette Sand lance la campagne Zézette épouse X, adressée à Bruno Le Maire, ministre de l’Economie. Les militantes y dénoncent « l’archaïsme de certaines administrations fiscales qui invisibilisent le nom des usagères au profit de celui de leur conjoint ». En effet, que ce soit la Caisse d’Allocation Familiale, la Sécurité Sociale ou encore la Caisse Primaire d’Assurance Maladie, le nom du mari l’emporte (presque) toujours et le changement du nom de la mariée est quasi automatique. La case « nom de jeune fille » continue même d’apparaître sur certains formulaires et dossiers de bénéficiaires. L’équivalent masculin, lui, n’existe tout simplement pas. « J’ai vécu jusqu’à 38 ans seule et je viens tout juste de m’installer avec mon conjoint. Durant 18 ans j’ai été indépendante économiquement et fiscalement. Or, j’ai déclaré mon PACS aux impôts. Et que s’est-il passé : 20 ans d’indépendance fiscale ont volé en éclat. J’ai reçu par courrier notre taxe d’habitation à son nom. Mon RIB a été supprimé et remplacé par celui de mon conjoint, s’insurge Sophie Bergerac, 40 ans, avant d’ajouter : J’étais folle de rage, je les ai contactés, ils m’ont dit que c’était l’usage, qu’ils prenaient un RIB seulement et qu’ils ne pouvaient pas faire autrement ». Des témoignages similaires sont pléthores. Raison de plus, pour l’association, de mettre fin à cette invisibilisation systémique, « vécue pour beaucoup comme une contrainte et une violence administrative qui alimente aussi bien la dépendance économique que les violences conjugales ».
Une coutume patriarcale qui perdure
Au-delà d’une administration empêtrée dans des schémas patriarcaux, il est aussi question de coutume. « Quasiment aucun homme ne prend le nom de sa femme. C’est encore très mal vu, on soupçonne le mari d’être soumis à son épouse, qu’elle porte la culotte » constate Caroline Bovar, docteure en sociologie qui a enquêté sur la transmission du nom des femmes, dans une interview accordée à Ouest France. « Légalement rien ne leur imposait de prendre le nom du mari. De tout temps, ce nom n’a été qu’un nom d’usage mais c’était un usage auquel on n’échappait pas », insiste-t-elle. D’autant que le mariage a longtemps été une transaction, où la femme passait de l’autorité du père à celle du mari. Toutefois, certaines femmes affirment leur désir de conserver leur nom de naissance, même après le mariage, et de le transmettre à leurs enfants. Un phénomène grandissant mais qui ne date pas d’hier selon la sociologue : « la revendication d’un nom à soi, que l’on garderait pour voir sa personnalité et son individualité reconnues autonomes de son mari est très ancienne ».
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