Le Collectif Féministe Contre le Viol (CFCV) assure une mission de service public avec des moyens aléatoires et… « les pieds dans la merde ». Entre inondations de leurs locaux et organisation mafieuse, les conditions de travail du collectif se dégradent de jour en jour. Nous sommes allées à leur rencontre.

Le 30 septembre, le Collectif Féministe Contre le Viol lance une énième alerte sur ses réseaux sociaux : leurs toilettes débordent régulièrement et un flot d’excréments se déverse dans leurs locaux. Des conditions de travail indignes de la mission d’utilité publique menée par le CFCV, qui, depuis 1985, est à l’écoute des victimes de viol ainsi que de violences sexuelles dans l’enfance (depuis 2021), et les accompagne dans leur parcours judiciaire jusqu’au tribunal. Lorsque nous leur rendons visite, quelques jours après une inondation, l’odeur commence seulement à se dissiper.
« Les pieds dans la merde »
« Nous occupons ces locaux depuis la création du CFCV », rapporte Alexandra Martel, coordinatrice au collectif, qui ajoute : « Nous sommes au premier étage d’une tour d’une vingtaine d’étages. L’ensemble des canalisations se déverse dans nos toilettes qui débordent. Depuis 5 ans, les inondations surviennent de plus en plus souvent. Rien que cet été, nous avons été inondées trois fois… ».
Des matières fécales se répandent alors dans l’ensemble des locaux. « Je vous laisse imaginer l’odeur qui dure pendant plusieurs jours… », s’agace Alexandra Martel. « On a littéralement les pieds dans la merde », ajoute l’une des écoutantes du CFCV, qui compte aujourd’hui une vingtaine de membres. Ça infiltre le lino posé au sol et les plaintes. Le CFCV fait appel à un service de ménage spécialisé mais, dans l’urgence, ce sont les gardiens de l’immeuble qui leur viennent en aide. « Ils ont été formidables et ont fait bien plus que ce qui leur était demandé, salue Alexandra Martel. Malheureusement, à partir du mois de novembre, nous allons nous retrouver sans gardien… ». Suite aux inondations, le CFCV subit également une prolifération de cafards.
« Dans nos locaux, nous avons des salles pour les écoutantes. Nous organisons également des formations et recevons des professionnels souhaitant se former au recueil de la parole des victimes, détaille la coordinatrice, avant d’ajouter : Sauf que ces inondations surviennent d’une minute à l’autre et il faut alors évacuer rapidement. Cela nous arrive également de débarquer le matin et de trouver les locaux inondés. Il faut alors se réorganiser rapidement en télé-travail. Le but, c’est de ne surtout pas interrompre les lignes d’écoute. C’est le plus important. »
Des proxénètes dans la tour
Mais le fléau qui touche le CFCV ne s’arrête pas là. Dans le quartier, ainsi que dans l’immeuble, des organisations mafieuses et des proxénètes imposent leur présence. Dans la vidéo, l’une des membres du collectif témoigne : « Ça m’est déjà arrivé, en arrivant le matin, de croiser un type qui me propose 50 balles pour me lécher ». Dans les escaliers, des seringues et des préservatifs sont retrouvés régulièrement. Résultat : lorsque des formations ou des groupes de paroles sont organisés, les membres accueillent systématiquement les visiteur.euse.s dans le hall et empruntent l’ascenseur.
Malgré ce climat hostile, « au CFCV, la lutte est joyeuse !, insiste la coordinatrice : Il ne faut pas que les victimes qui nous appellent pensent que nous sommes dépassées par la situation. Quoi qu’il arrive, nous sommes là pour elles. »
Les trésors du CFCV
Les actions menées par le CFCV sont d’utilité publique. L’affluence des appels sur leurs deux cellules d’écoute en sont la preuve : « D’année en année, les cellules d’écoute sont de plus en plus sollicitées. On raccroche à peine, qu’on doit directement prendre un nouvel appel », relate Alexandra Martel. Des femmes, beaucoup. Mais aussi des hommes, notamment sur la cellule d’écoute consacrée aux violences sexuelles dans l’enfance, ouverte en 2021.

Libération de la parole ? « Plutôt une libération de l’écoute » selon la coordinatrice qui nous explique qu’avant même MeToo, en 2011 l’affaire DSK avait déjà provoqué une prise de conscience et une augmentation des appels. En 2013, le CFCV recensait 3974 appels de victimes. En 2023, ce chiffre a presque doublé : 7407 appels. Il y a un an, Emmanuelle Piet analysait déjà ce même phénomène : « La libération de la parole compte beaucoup. Mais je pense que cette augmentation reflète plutôt la prise en compte plus importante de la parole des femmes. Cependant, on est encore loin de la réalité si on se base sur les plaintes qui ont été prises. Il y a toutes celles qui ne l’ont pas encore été… ». (Pour en savoir plus, lire : “Violences faites aux femmes : davantage de visibilité mais toujours pas de moyens pour lutter“)
Au-delà du travail mené par les écoutantes et les formatrices du CFCV, les locaux hébergent un autre trésor : des archives des luttes féministes. « Les archives féministes, il n’y en a presque pas… Ce travail de mémoire a mis du temps à s’opérer. Désormais, il faut absolument les conserver », insiste Alexandra Martel.
Quelles aides ?
Le collectif dépend des pouvoirs publics et des aides qui leur sont allouées. L’année dernière, Emmanuelle Piet dénonçait l’incertitude à laquelle elles étaient forcées : « Pour l’année 2023, nous n’avons toujours pas reçu l’intégralité de ce qui nous avait été promis. Nous sommes en novembre et nous ne connaissons toujours pas la somme dont nous pourrons disposer pour 2024. Cette incertitude entrave la gestion de notre personnel et nous empêche de nous projeter sur des actions ». Cette année, les choses ont un peu évolué. « Nous avons désormais un accord triennal pour nos subventions. Ce qui nous permet de penser sur trois ans au lieu de six mois, se réjouit Alexandra Martel avant de nuancer : Mais tout ce temps que l’on consacre à négocier ou même à nettoyer les locaux, on pourrait l’investir dans la lutte. »
Dans la vidéo publiée il y a quelques jours, la Fondation des Femmes lance un appel aux dons pour les soutenir : ICI.
Quelques élu.e.s, notamment du 12e et 13e arrondissement, leur ont apporté du soutien et de l’aide dans leur recherche de nouveaux locaux. Alexandra Martel le dit : « Nous sommes dans cette tour depuis 40 ans… On peut lui dire au revoir sans regret ».
Du lundi au vendredi, de 10h à 19h, le Collectif Féministe Contre le Viol est joignable à ces deux numéros :
Viols Femmes Informations : 0 800 05 95 95
Violences Sexuelles dans l’Enfance : 0 805 802 804
