La Commission spéciale chargée d’examiner la proposition de loi sur la prostitution rejette l’idée de la pénalisation des clients. Un accroc de plus pour un texte au sort toujours incertain.
La Commission spéciale du Sénat fait un sort à la pénalisation des clients de prostituées. Mardi 8 juin, une majorité de membres de cette commission ont retiré de la proposition de loi « renforçant la lutte contre le système prostitutionnel » l’article instituant une infraction de recours à la prostitution – et des stages de sensibilisation pour ces clients.
Dans l’ensemble, le texte adopté en décembre dernier par les députés a été confirmé. Et même renforcé par des dispositions visant à améliorer l’accompagnement des personnes prostituées et à faciliter leur sortie de la prostitution, ainsi qu’à renforcer la lutte contre la traite des êtres humains et le proxénétisme. La Commission a par exemple élargi la compétence des inspecteurs du travail. C’est la première traduction législative du plan d’action national de lutte contre la traite présenté en mai par le Gouvernement.
La menace de la précarisation l’a emporté
C’est donc sur l’épineuse question du traitement à réserver aux clients que le débat a été le plus poussé. La rapporteure du texte, Michelle Meunier, s’est prononcée en faveur de la pénalisation, arguant que « la responsabilité du client ne pouvait être indéfiniment ignorée ». Mais le président de la Commission Jean-Pierre Godefroy était d’avis contraire.
Et « à l’issue d’un débat approfondi », par 16 voix contre 12, et 2 abstentions, les sénateurs ont estimé que mettre la pression sur le client risquerait d’« accroître la précarité sanitaire et sociale des personnes prostituées », même si dans le même temps le délit de racolage passif est supprimé. Et même si l’exemple suédois ne permet pas de tirer la moindre conclusion sur ce point. La Commission « a considéré qu’il existait un risque réel que l’incrimination des clients ne place les personnes prostituées dans un isolement plus grand et, par conséquent, dans des conditions plus dangereuses ». Un argument développé par plusieurs ONG de terrain, comme Médecins du Monde, ou encore par la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, dans un avis rendu en mai dernier. Même s’il ne faut pas occulter le battage médiatique orchestré de longe date par les clients.
Quel avenir pour le texte ?
Ce serait donc la fin de l’idée du « modèle suédois » pour la France ? Pas forcément. Les partisans de la pénalisation du client, comme le Haut Conseil à l’Égalité, préfèrent saluer « une étape supplémentaire » dans la navette parlementaire de la proposition de loi. En regrettant « la suppression d’un des piliers indispensables du texte », il « invite les parlementaires à poursuivre le travail afin de redonner à ce texte progressiste son équilibre et sa cohérence. » Les députées Maud Olivier et Catherine Coutelle lancent un appel similaire : si elle « ne prend pas en compte la nécessité de réduire la demande autant que les autres aspects, la loi ne sera pas efficace. »
Ce sera à l’ensemble des sénateurs, en séance, de décider du sort des clients. Reste à inscrire l’examen du texte à l’ordre du jour. La loi sera votée avant la fin de l’année, assurait encore récemment le gouvernement. Mais elle ne figure toujours pas dans le calendrier, et ce dernier accroc n’augure rien de bon sur son sort. Fermement opposée à la pénalisation des clients, la sénatrice EELV Esther Benbassa prédit déjà l’enterrement du texte.
Un élément de plus dans notre (lourd) dossier :
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