Un attentat masculiniste a été déjoué à Bordeaux. Sur les réseaux sociaux, le suspect exprimait une puissante haine des femmes. Il se revendique incel. Ce mouvement profondément misogyne prend de l’ampleur et commence tout juste à attirer l’attention des autorités.

Mardi 21 mai, Alex G., un homme de 26 ans, jusqu’alors inconnu des services de police, a été interpellé près de Bordeaux après avoir diffusé un message inquiétant à l’égard des femmes sur les réseaux sociaux. Placé en garde à vue du chef d’apologie du crime, l’homme a déclaré « son intérêt pour la mouvance incel » et son admiration pour les tueries de masse visant les femmes, commises aux États-Unis.
La haine des femmes prospère sur les réseaux sociaux
AInsi, ils sont désormais des milliers à travers le monde. Les incels, abréviation de « involuntary celibate » (trad : célibataires involontaires), considèrent l’épanouissement sexuel comme un droit dont ils sont privés à cause des femmes libres. Ils cultivent un profond ressentiment allant jusqu’à vouloir se venger des femmes qui les oppriment. Mais ils sont encore peu traqués par la police
C’est aux États-Unis que le mouvement prend racine. Lors de sa garde à vue, Alex G. a fait référence à la tuerie d’Isla Vista en Californie, perpétrée le 23 mai 2014, et a exprimé son souhait de la commémorer. Il y a dix ans, Eliott Rodger, un jeune Américain de 22 ans, a tué six personnes, dont deux femmes, et en a blessé quatorze autres avant de se suicider. Son moteur ? Sa haine envers les femmes.
Dans une vidéo partagée sur les réseaux sociaux le jour de la tuerie, Eliott Rodger déclare avoir voulu se venger d’un « crime » perpétré par les femmes qui n’avaient « jamais été attirées » par lui. Érigé en icône par les incels, l’Américain marque un moment de bascule et le mouvement prend de l’ampleur, notamment sur réseaux sociaux. Nombre de féministes avaient alors appelé les pouvoirs publics à prendre en considération la dimension misogyne de cette tuerie.
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Très présents sur internet, les incels se retrouvent sur des sites tels que Reddit, Discord, 4chan ou encore le site incels.me, qui interdit l’accès aux femmes et compte plus de 5.000 membres. Ensemble, ils alimentent leur haine des femmes. Les insultes misogynes fusent. Les femmes y sont vues comme des « créatures diaboliques », des « menteuses pathologiques » et des « salopes incapables d’aimer ». Le sentiment de solitude de ces hommes mute alors en une apologie du harcèlement moral et sexuel allant jusqu’aux incitations au viol.
Les incels échappent encore à une juridiction spécifique
Les propos inquiétants tenus par l’homme arrêté à Bordeaux ont été détectés par la plateforme PHAROS (Plateforme d’Harmonisation, d’Analyse, de Recoupement et d’Orientation des Signalements). Lancée en 2009 par la Direction Centrale de la Police Judiciaire, Pharos permet à quiconque de signaler des contenus illicites sur Internet. Les sanctions peuvent aller de la suppression des contenus au blocage du site web ou encore le lancement d’enquête judiciaire et d’arrestation dans les cas les plus graves, comme à Bordeaux le 21 mai dernier.
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La plateforme est particulièrement vigilante face aux contenus à caractère pédopornographique, aux incitations à la haine raciale, ethnique ou religieuse ou encore à l’apologie du terrorisme. La haine des femmes passe encore trop souvent sous les radars. Pourtant, c’est bien en ligne qu’elle grandit. Au-delà des incels, les contenus masculinistes, qui prônent une forme d’ultra virilité et une oppression des femmes, pullulent, eux aussi, sur les réseaux sociaux.
Reconnaître le « terrorisme misogyne »
Or, ces dangers numériques sont bien réels. Plusieurs tueries ont été perpétrées, notamment aux États-Unis, au Canada et au Royaume-Uni. Déjà en 1989, un homme prénommé Marc Lépine, alors âgé de 25 ans, pénètre dans l’école de Poly-Technique de Montréal et abat vingt-huit personnes, dont quatorze étudiantes. Sa revendication : « Je combats le féminisme ». C’est l’une des premières tueries de masse masculinistes, bien avant que le mot « incel » ne fasse son apparition. Ces attaques, perpétrées par ces hommes, visent un groupe bien spécifique : les femmes. Pourtant, ils ne sont pas considérés comme un mouvement terroriste.
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Mais ce n’est peut-être qu’une question de temps. Selon la BBC, lors de l’été 2023, au Canada, un juge a annoncé la première inculpation pour acte de terrorisme d’un incel, qui a reconnue le meurtre d’une femme dans salon de massage érotique de Toronto en 2020. En Angleterre, les mêmes questions se posent. En 2021, plusieurs député.e.s exigeaient l’inscription des préoccupations concernant les incels dans un projet de loi du gouvernement britannique sur le harcèlement et la haine en ligne. Cela changerait la donne. Les autorités pourraient mieux cerner ce mouvement, ses limites et ses acteurs, et être en capacité d’intervenir rapidement.
En France, aucune législation spécifique ne concerne les incels. Mais l’arrestation du jeune homme à Bordeaux démontre que l’ampleur prise par ce mouvement dépasse désormais les frontières du monde numérique.