Avec leur bleu de travail et leur bandana rouge à pois blancs sur la tête, elles sont de toutes les manifestations pour exprimer leur colère contre la réforme des retraites en chantant et dansant. Gros plan sur “Les Rosies”.
Devenue une icône populaire avec la célèbre phrase “We can do it”, Rosie la riveteuse représente les millions de femmes qui pendant la seconde guerre mondiale ont travaillé dans l’industrie de l’armement alors que les hommes étaient au front. Et c’est justement parce que Rosie la riveteuse représente les travailleuses, que Les Rosies “actuelles” ont choisi d’enfiler ce bleu de travail. L’objectif est de se rendre visibles et de dénoncer les inégalités criantes et les conditions précaires de celles qui occupent la majorité des métiers mal payés, à temps partiel ou encore gratuit.
Les Rosies ont vu le jour en 2019 alors que le gouvernement planchait sur le projet de réforme de la retraite à points. Edouard Philippe, alors premier ministre, avait déclaré que les femmes seraient les « grandes gagnantes » de la réforme des retraites.
Lire : Retraites : « Les grandes gagnantes » invisibles
Porte-parole d’Attac et co-fondatrice du mouvement des Rosies, Youlie Yamamoto témoignait récemment dans Mediapart : « C’était la provocation, la formule de trop et nous nous sommes dit qu’il fallait rendre ça visible. Comment montrer l’impact sexiste, genré de la réforme des retraites, comment montrer que ce sont les femmes qui allaient être les grandes perdantes ». Tout a commencé par un clip avec la chanson A cause de Macron dont les paroles dénonçaient l’impact de la réforme sur les femmes. Succès gagnant pour ce clip qui est alors devenu un kit de mobilisation (à retrouver ici) avec paroles et chorégraphies, à la façon d’un flashmob.
2023 signe le retour de la réforme des retraites et, avec elle, celui des Rosies toujours aussi déterminées avec de nouvelles chansons et chorégraphies engagées qui dénoncent une réforme « injuste et sexiste » (lire ici). La région parisienne n’étant pas assez grande, une marée Rosies s’est répandue sur tout le territoire et de très nombreuses villes comptent désormais leur propre collectif : Clermont-Ferrand, Valenciennes, Montélimar, Rodez, Poitiers, Bordeaux… (une carte de France est disponible ici).
A Clermont-Ferrand, le collectif Les Rosies 63 s’est également formé en 2019. Des Rosies présentes à l’époque nous racontent qu’au tout début, leur présence dans les manifestations était « un peu étrange » et les journaux locaux de l’époque évoquaient même « un groupe de sympathiques femmes ». Depuis leur création, elles multiplient les actions et apprécient de danser ensemble. Mais c’est vraiment en ce début d’année 2023 que leur côte de popularité a grimpé en flèche. Devenues un symbole des manifestations, nombreux·ses sont les manifestant·es à attendre avec impatience leurs chorégraphies dont la célèbre Women on fire (sur l’air de Gala – Freed from Desire). Dès que retentissent les premières notes sur la sono, la foule crie et applaudit. Les Rosies sont même très souvent rejointes par des manifestant·es qui reprennent en chantant et en dansant leur chorégraphie.
Les Rosies 63 se réjouissent de cette évolution : « Avant, nous dansions face aux gens qui se contentaient de nous regarder, un peu comme un spectacle. Mais ce n’est pas ce que nous voulions, l’idée est d’entraîner les gens à participer ». Et c’est désormais derrière le camion Solidaires, qui les accueille et leur fournit la sono, que Les Rosies dansent, suivies du reste du cortège qui se joint à elles. Pour Sylvie « c’est très régénérateur. Après chaque manifestation, je suis rechargée de toute cette sororité qu’il y a entre nous » et Estelle d’ajouter : « Je connaissais le concept de sororité mais c’est avec Les Rosies que je l’ai vraiment ressenti ».
Et parce que le féminisme traverse toutes les questions sociales, les Rosies sont présentes lors d’autres mobilisations. Le 8 mars et le 25 novembre bien évidemment mais elles étaient là aussi pour soutenir les « premières de corvée » pendant la crise sanitaire du Covid ou encore pour soutenir la lutte des femmes de chambres de l’Ibis Batignolles.
Lire : Victoire des employées de l’Ibis Batignolles contre le travail précaire des femmes et Les soldates du « care » en première ligne face au Covid-19
« On rend visibles les problématiques des femmes par rapport aux retraites mais pas seulement. Et pour cela, nous utilisons notre corps qui, généralement, dans notre société très patriarcale est utilisé avec des modèles de canons de beauté sachant bien danser. Ici, nous ne faisons pas de performance artistique »
Les Rosies 63


Mais comme souvent lorsque les femmes osent occuper l’espace public, ce n’est pas vu d’un très bon oeil et elles reçoivent leur lot de critiques. Principalement caché·es derrière leur ordinateur, des internautes se gaussent sur les réseaux sociaux en-dessous de vidéos : « Jette leur une éponge », « Et qui fait la vaisselle et le ménage pendant ce temps ? Bravo je vous félicite pas » et parmi les reproches qui reviennent le plus : « C’est carnaval », « C’est une manifestation ou un carnaval ? tu m’étonnes que ça soit pas pris au sérieux ». Beaucoup se moquent et parlent de ridicule en arguant le fait que danser ne fera pas trembler le gouvernement. Mais ces danses sont justement une très bonne réponse aux violences qui peuvent surgir en marge des manifestations. Dans un article de Politis, Youlie Yamamoto explique : « Nos cortèges joyeux et animés procurent un sentiment de sécurité. Ils permettent de conjurer le mauvais sort, de désarmer la crainte et la peur de la répression et de garder la motivation intacte ». Et pour répondre à ses détracteurs et détractrices, le collectif vient de sortir une nouvelle chanson/chorégraphie intitulée La coach des manifs sur l’air de la chanson Le coach de Soprano :
On ose s’afficher ouais ouais ouais
Mascu t’es frustré
Il est temps d’aller danser c’est not’ façon
d’manifester
Allez allez allez allez
Ouais lâche-toi fais pas la tête rejoins la
fête des révolté·es
Autre preuve que leur mouvement dérange et prend de plus en plus d’ampleur : les arrestations qui ont eu lieu le 7 février dernier alors que les Rosies parisiennes manifestaient devant l’Assemblée nationale, comme en témoigne Youlie Yamamoto, toujours pour Politis : « Neuf d’entre nous ont été placé·es en garde à vue pour avoir écrit « 60 ans » à la craie et dansé « Nous, on veut vivre ! ». C’est un signal inquiétant d’arrêter des femmes qui veulent défendre leurs droits et revendiquer l’égalité. »
Alors les Rosies de la France entière sont plus que jamais déterminées pour continuer le mouvement. Le prochain rendez-vous est donné le jeudi 6 avril et Les Rosies continueront de danser et manifester fièrement contre cette réforme injuste : « Toustes ensemble pour les faire plier, toustes ensemble on va gagner » (La coach des manif).

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