La loi contre le système prostitutionnel va être définitivement adoptée. Retour sur 5 ans de débat public, et plus de 2 ans d’échanges parlementaires, avec le député Guy Geoffroy, qui a porté le texte.
Ultime étape. Les députés doivent adopter en lecture définitive, mercredi 6 avril, la proposition de loi de lutte contre le système prostitutionnel. Un texte dont la mesure la plus commentée est la « responsabilisation » des clients – avec la création d’une infraction de recours à la prostitution, passible d’une amende allant jusqu’à 1500 euros, éventuellement accompagnée d’un stage de sensibilisation.
Il s’agit de « dissuader le client de pérenniser les situations de violence que son comportement crée et entretient », soulignait dès l’origine la députée Maud Olivier, rapporteure de la proposition de loi. En parallèle, les personnes prostituées ne sont plus des délinquantes : le texte supprime le délit de racolage instauré en 2003.
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Derrière cette nouvelle approche – un « modèle nordique », appliqué en Suède, Islande et Norvège, « où l’achat de services sexuels constitue un acte criminel, mais pas les services des personnes prostituées » – le texte vise deux autres objectifs : mieux lutter contre les réseaux de traite et de proxénétisme et accompagner les personnes prostituées, notamment en les aidant à sortir de la prostitution.
L’adoption de cette loi, à visée abolitionniste, marquera la conclusion d’un très long parcours jalonné de grandes tirades dans la presse pour, le plus souvent, défendre le client (voir ici). A l’origine, un rapport d’information publié 5 ans plus tôt, sous la précédente législature, donc, par les députés Guy Geoffroy (Les Républicains, alors UMP) et Danielle Bousquet (PS).
Voir : Rapport sur la prostitution : punir les clients, pas seulement
Ces mesures se retrouvaient devant l’Assemblée nationale à la fin 2013 sous la forme d’une proposition de loi. Mais ce n’était que le début d’un chemin de croix parlementaire. Après son adoption par les députés en première lecture en décembre 2013, le texte est resté un an et demi au placard avant d’être enfin remis à l’ordre du jour du Sénat au printemps 2015. Et les désaccords entre les deux chambres ont encore fait durer la navette parlementaire un an de plus.
L’occasion de revenir avec Guy Geoffroy, qui a présidé la commission spéciale de l’Assemblée nationale sur le texte, sur ce cheminement. Entretien.
Les Nouvelles NEWS : La loi va être adoptée cinq ans presque jour pour jour après la publication du rapport que vous aviez cosigné avec Danielle Bousquet, que ce texte reprend en grande partie. Cinq longues ou courtes années à vos yeux ?
Guy Geoffroy : Ces cinq ans ont surtout été un temps utile. Je constate aujourd’hui une prise de conscience générale, aussi bien dans l’opinion que dans le milieu du journalisme, d’ailleurs : il était, il y a cinq ans, spontanément goguenard ou critique par rapport à notre travail ; mais il a perçu, au fur et à mesure, la problématique dans son ensemble. A savoir la reconnaissance que la personne prostituée est avant tout une victime d’un système, qui devient de plus en plus odieux avec l’augmentation de la traite des êtres humains ; et la conscience de la responsabilité majeure qui est celle du client dans le phénomène prostitutionnel.
Progressivement, les Français ont pris conscience que le sujet n’était pas aussi simple à résumer qu’on voulait le laisser entendre. Le désir irrépressible du client, le phénomène prostitutionnel installé depuis toujours et pour toujours dans les sociétés : ces clichés qui nous étaient opposés il y cinq ans se sont progressivement estompés. Bien évidemment il y a encore des personnes hostiles à ce texte, mais l’hostilité, en volume et en intensité, est beaucoup moins importante que lorsque, après le vote de la loi sur les violences faites aux femmes fin juin 2010, nous avons décidé avec Danielle Bousquet de poursuivre notre action contre les violences par ce travail sur la prostitution.
Pour autant les multiples allers-retours du texte entre Assemblée nationale et Sénat n’auront pas vraiment fait bouger les lignes. Les sénateurs sont restés opposés jusqu’au bout à la responsabilisation des clients. C’est un regret ?
Ce n’est pas mon analyse. En tant que président de la commission spéciale j’ai beaucoup échangé avec mes collègues sénateurs. Et je peux assurer que le Sénat était prêt à voter les articles 16 et 17 sur la responsabilisation du client. Ce qui a fait échouer l’élaboration d’un texte commun, c’est la volonté des sénateurs d’intégrer un article donnant aux maires le pouvoir de mettre un terme au trouble à l’ordre public que peut représenter la prostitution sur les territoires, avec notamment la présence de ces véhicules stationnés le long des grands axes. Si nous étions parvenus à un accord sur ce point, les sénateurs auraient voté les articles 16 et 17. On est passé très près.
Reste que le débat s’est focalisé sur la pénalisation des clients, occultant les autres mesures.
Oui, je regrette cette focalisation. Cette loi, si elle ne contenait que les dispositions des articles 16 et 17, n’aurait aucun sens. Elle n’a du sens que parce qu’il y a un équilibre entre l’aggravation de la lutte contre le système prostitutionnel, le proxénétisme et la traite des êtres humains, une amplification de l’accompagnement des personnes prostituées pour leur permettre de sortir, avec l’aide de la collectivité publique, de la prostitution, et puis effectivement la responsabilisation du client. Parce que sans client il n’y a pas de prostitution, sans client il n’y a pas de traite des êtres humains.
Sur ce point, la principale critique concerne le manque de moyens qui seront accordés à l’accompagnement des personnes prostituées. Vous l’entendez ?
Attendons que la loi soit votée, et ensuite le gouvernement – celui d’aujourd’hui et celui de demain – nous indiquera comment, lui qui nous a toujours soutenu dans cette ambition, il entend mettre en œuvre les moyens de cette ambition. C’est un vrai sujet, mais on ne peut pas, aujourd’hui, faire le procès a priori à l’exécutif de ne pas vouloir mettre les moyens.
Mais il est vrai que nous devrons être extrêmement présents et vigilants pour veiller à ce que, au-delà de la loi et des principes qu’elle pose, il y ait une véritable implication concrète, assidue, permanente, pour obtenir rapidement de premiers résultats. Il est clair en tous cas qu’on ne va pas, même en deux ou trois ans, aboutir sur notre ambition abolitionniste. Il faudra plusieurs années, peut-être même une génération, pour franchir toutes les étapes, faire en sorte que la société s’adapte à cette nouvelle approche.
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