Des résultats encourageants, mais une loi encore trop mal connue. Et un gouvernement désinvolte. C’est le premier bilan que dressent les députés Danielle Bousquet et Guy Geoffroy de la loi contre les violences conjugales, adoptée en juillet 2010 à leur initiative.
A peine un an et demi après l’adoption de la loi du 9 juillet 2010 sur les violences au sein du couple, c’est l’heure d’un premier bilan. Il a été publié mercredi 18 janvier par les deux auteurs de la loi, les députés Danielle Bousquet (PS) et Guy Geoffroy (UMP). « La loi est applicable mais demeure mal connue », estiment-ils. Et « des marges de progression considérables existent ».
Ordonnance de protection : progrès espérés
- L’ordonnance de protection (1), cette mesure phare du texte de loi, a été requise 854 fois entre son entrée en vigueur, le 1er octobre 2010, et le 1er mai 2011. Les tribunaux y ont répondu favorablement à 584 reprises (2). Près d’un tiers des demandes n’aboutissent donc pas ; un nombre que les députés jugent « relativement important » et qui s’explique par la difficulté d’administration de la preuve, mais aussi par le fait que les victimes retirent leur demande ou ne se présentent pas à l’audience.
- Point positif : le nombre des ordonnances de protection rendues a été bien plus important – près du double sur une même période – que celui des mesures « d’éviction du conjoint violent » qu’elles remplacent. Et la marge de progression est importante, estiment les députés. Car ils constatent que « le dispositif est souvent mal connu et les avocats hésitent parfois à utiliser cette nouvelle procédure ».
- Principal point noir : les délais nécessaires à la délivrance d’une ordonnance de protection sont beaucoup trop longs. La mesure est censée répondre à des situations d’urgence. Le législateur escomptait donc un délai de 48 heures. Mais dans les faits, il est en moyenne de 26 jours. « Ce délai excessif met en danger les victimes qui entament une procédure et doit être absolument réduit », écrivent les députés pour qui le tribunal de Bobigny doit servir d’exemple (encadré ci-dessous).
- Un délai à allonger, en revanche, est celui de la durée de cette mesure de protection. Les auteurs de la loi l’avaient fixée à 4 mois maximum. Mais « de l’avis unanime des professionnels concernés », cette durée « se révèle trop courte pour assurer la stabilisation juridique de la situation de la victime ». Pour les députés, elle devrait donc être portée à 6 mois. Mais il faudra pour cela revoir la loi.
« La volonté politique n’est pas là »
- L’autre grande nouveauté de la loi était la création du délit de violences psychologiques au sein du couple. Mais aucune condamnation n’est encore intervenue sur ce fondement, observent les députés. Là encore, la question de la preuve se pose, et les acteurs de terrain, des policiers aux magistrats, peinent encore à en définir les contours. Patience… « une première jurisprudence permettrait de définir une marche à suivre et de mieux cerner quels sont les éléments sur lesquels le juge pourrait s’appuyer pour caractériser cette infraction », juge Guy Geoffroy.
- Mais le principal élément négatif qui ressort de ce bilan est, sans doute, la désinvolture de l’État. Les décrets d’application de la loi ont tous été signés rapidement. C’est déjà ça. En revanche, le gouvernement n’a pas donné suite aux travaux que lui soumettait la loi. Le ministère des Solidarités devait notamment remettre deux rapports au Parlement, l’un sur la formation des personnels, l’autre sur l’opportunité de créer un Observatoire national des violences faites aux femmes. Un tel observatoire apparaît essentiel aux députés, car « nous manquons d’outils d’évaluation », souligne Danielle Bousquet. Et Guy Geoffroy de faire part de sa « déception » face à ce manque d’engagement du gouvernement « sur des sujets essentiels pour la lutte contre les violences faites aux femmes ». Pour Danielle Bousquet, « la volonté politique n’est pas là ».
- D’autant que les députés encensent dans leur rapport l’Observatoire des violences conjugales mis en œuvre depuis 10 ans en Seine-Saint-Denis. Ils saluent le dispositif de « téléphone de grand danger » (TGD), lancé dans le département à l’initiative de cet observatoire. Ce TGD permet à une victime de violences de contacter facilement les forces de l’ordre si l’auteur s’approche d’elle. « Devant les succès enregistrés, ce dispositif a été étendu au TGI de Strasbourg et pourrait l’être prochainement dans le Val-d’Oise et à Dijon », notent les députés. La région Île-de-France vient elle aussi de se doter d’un tel observatoire et envisage également d’expérimenter rapidement ces TGD.
Bobigny, tribunal exemplaire Les rapporteurs observent de grandes disparités entre les juridictions dans l’application de la loi. Un TGI reçoit toutes leurs louanges : celui de Bobigny. Voici ce qu’en dit Danielle Bousquet : |
Le rapport des députés sur le site de l’Assemblée nationale.
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(1) Il s’agit, avant d’engager une procédure pénale ou en divorce, de protéger la victime de son conjoint violent, en proposant des mesures temporaires pour sa sécurité, en facilitant son relogement ou en écartant l’auteur du logement conjugal. Le juge aux affaires familiales peut aussi se prononcer sur l’exercice de l’autorité parentale.
(2) Ces chiffres prennent en compte les trois quarts des tribunaux de grande instance – 122 TGI, sur les 165 interrogés, qui ont répondu à un questionnaire de la Chancellerie.