Suffrage des femmes, droit à l’avortement, abolition des diktats de la féminité… Les combats menés par Madeleine Pelletier, figure majeure du féminisme du début du XXème siècle, sont novateurs et, surtout, radicaux pour son époque. Alors que le 18 mai 2024 marque ses 150 ans, honneur à cette féministe avant-gardiste.
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Il y a encore quelques années, le nom de Madeleine Pelletier était quasiment inconnu. L’oubli était le sort réservé aux féministes de la première vague, qui pourtant, dès le XIXème siècle ont dédié leur vie à la cause des femmes. Un siècle avant Simone de Beauvoir et les féministes des années 70, des pionnières luttaient déjà pour l’égalité. Leur combat était déjà méprisé. Madeleine Pelletier, qui aurait eu 150 ans le 18 mai, était l’une d’elles : socialiste, révolutionnaire, franc-maçonne, anti-fasciste mais avant tout « féministe intégrale« . Un qualificatif « qu’elle avait choisi pour souligner que l’égalité concernait tous les domaines de la vie » précise l’historienne Christine Bard dans la préface de Mémoires d’une féministe intégrale (éd Folio). Grâce à la publication de ce texte en mars dernier, Madeleine Pelletier commence tout juste à s’extirper de l’oubli auquel l’avait condamné l’Histoire, inlassablement racontée d’une perspective masculine.
Une éducation féministe
Au point de départ de son engagement : l’éducation, condition nécessaire à la libération des femmes. Issue de milieu populaire, elle a dû quitter l’école à 12 ans. Mais Madeleine Pelletier ne se résigne pas et décide de passer le baccalauréat en 1897 – les Françaises étant autorisées à passer cet examen depuis 1861. Après l’avoir obtenu haut la main, elle s’engage dans des études scientifiques : faculté des sciences de Paris, puis certificat en sciences physiques, chimiques et biologiques. En 1898, elle s’inscrit à la faculté de médecine. Le but ? Devenir médecin aliéniste. Jamais une femme n’avait occupé ce poste. Cela leur était tout simplement impossible puisque pour passer le concours de l’internat des asiles il fallait jouir des droits civiques et politiques. Lorsque Madeleine Pelletier s’y présente en 1902, soit 42 ans avant que le suffrage des femmes soit adopté en France, l’accès à l’examen lui est refusé. Mais, bien déterminée à accomplir son projet, elle rend l’affaire publique, témoigne auprès du journal féministe La Fronde, fondé par Marguerite Durand, et n’hésite pas à interpeler les politiques. En 1904, son combat abouti et elle devient la première femme interne.
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Un engagement radical et pluriel
Madeleine Pelletier a défriché des voies nouvelles pour les femmes. La récente publication de ses mémoires dresse le portrait d’une féministe précoce et visionnaire. Dès sa jeunesse, elle affirme une puissante sensibilité aux inégalités de classes et entre les femmes et les hommes. À 15 ans, elle intègre le cercle anarchiste de son quartier des Halles à Paris, où elle s’initie à l’art oratoire et affûte sa plume. À la même période, elle fréquente des militantes féministes, telles qu’Aystié de Valsaire, la fondatrice de la Ligue d’affranchissement des femmes. Auprès de ces féministes aguerries, Madeleine Pelletier construit ses propres idées. À mesure que son sentiment de révolte grandit, elle n’envisage pas qu’une libération des femmes soit possible sans le soutien des partis socialistes, et vice versa. D’abord militante à la Section française de l’Internationale communiste (Sfic) – devenu le Parti communiste-SFIC en 1921 -, elle finit par s’éloigner du parti et rejoint le Parti d’Union Prolétarienne (PUP), en tant que secrétaire de la commission des femmes. Cette position lui permet d’imposer ses idées. Non sans difficulté, elle parvient à faire inscrire le droit de vote des femmes dans le programme du parti socialiste.
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Madeleine Pelletier vit son combat dans l’action. Inspirée par les suffragettes anglaises, elle brise les vitres d’un bureau de vote et en 1910, aux côtés de plusieurs suffragistes, elle se présente aux élections législatives. Mais la militante ne se limite pas au suffrage des femmes. Elle voit plus loin, plus grand. Contrairement à la branche féministe modérée et majoritaire à l’époque, elle défend l’accès à la contraception et le droit à l’avortement, qu’elle pratique clandestinement auprès de femmes précaires. Puis, au-delà de la lutte pour l’égalité de droits, Madeleine Pelletier milite pour une déconstruction des normes de la féminité. Elle introduit les études de genre avant l’heure ! Dans les assemblées, durant lesquelles elle brille de par son éloquence, elle se distingue des autres militantes en arborant une panoplie « masculine ». On la reconnait à ses cheveux courts, son costume, son chapon melon et parfois même à une canne, accessoire privilégiée des hommes de l’époque. En s’habillant comme eux, Madeleine Pelletier revendique le droit de se vêtir comme ceux qui détiennent toutes les libertés. D’autant plus qu’il a fallu attendre 1909 pour que la loi de 1800, qui interdisait aux femmes de se « travestir » en portant le pantalon, soit abrogée. « Le rêve ultime de Madeleine Pelletier est la dissolution [de la féminité] dans une humanité où tous les êtres seraient considérés comme égaux et libres de s’accomplir dans le domaine de leur choix » détaille Christine Bard. Un militantisme radical qui lui vaut des critiques acerbes venant aussi bien des militants catholiques que de la presse qui la tourne en dérision. Les féministes ne sont pas plus tendres avec elle, lui reprochant de donner raison aux caricatures diffusées par les anti-féministes.
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Madeleine Pelletier écrit être « née trop tôt ». Si elle hérite d’une réputation de « terreur féministe » de son vivant, la militante commence à émerger des méandres de l’Histoire. Ses nombreux écrits refont surface grâce aux travaux d’historiennes, telle que Christine Bard qui se dit fascinée par cette figure radicale de la première vague féministe : « Ce qu’elle a fait de son vivant, force l’admiration. […] Elle a tenu bon, sans renoncer, et l’a payé au prix le plus élevé qui soit ». En 1939, Madeleine Pelletier est accusée d’avoir avorté une jeune fille de 13 ans, enceinte de son frère. Avant son procès, un psychiatre la déclare inapte suite à une crise d’hémiplégie survenue en 1937, la laissant demi-paralysée. Pourtant, ses mémoires laissent penser que Madeleine Pelletier était tout à fait lucide à cette époque. Était-ce une manière de la décrédibiliser et de la réduire au silence une bonne fois pour toute ? Elle meurt la même année, avant d’être enterrée en fosse commune.
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