Le nouveau film de Kelly Reichardt, « Mastermind », fait le portrait d’un chômeur qui se rêve braqueur de tableaux. Un film sympathique mais anodin.

Figure majeure du cinéma indépendant américain, Kelly Reichardt était la dernière des six réalisatrices à projeter son film en compétition officielle cette année. Elle a posé sa caméra dans un coin tranquille du Massachusetts, où ont été reconstituées les années 1970. Un menuisier au chômage regarde sa vie passer, sa femme partir au travail, ses deux garçons à l’école, et enchaîne des journées désespérément plates. Comme il fréquente régulièrement le musée de sa ville, il commence à y voler de petites oeuvres… pour voir, comme par jeu. Quand il décide d’y réaliser son premier grand braquage de quatre tableaux, évidemment rien ne se passe comme prévu. En parallèle deux mouvements sont en train de bouleverser les Etats-Unis : l’opposition à la guerre du Viet Nam et le féminisme. Mais ces enjeux politiques traversent le film discrètement face à l’aventure du braqueur amateur.
Ce sujet est assez surprenant pour cette réalisatrice chérie des cinéphiles pointus. On passe un bon moment, c’est assez drôle, mais l’aventure reste anodine. Heureusement la présence de deux grands acteurs, Josh O’Connor le menuisier et sa femme Alana Haim (« Licorice Pizza »), nous réconforte. Le film a en tous cas ravi les critiques cannois.
« Mastermind » de Kelly Reichardt (États-Unis, 110 minutes) avec Josh O’Connor, Alana Haim, Hope Davis et John Magaro. Produit et distribué par Mubi.
Kelly Reichardt : Une cinéaste qui gagne à être (re)connue
Malgré un premier long métrage remarqué et primé en 1995, « River of Grass », Kelly Reichardt n’a pas pu continuer à réaliser pendant douze ans. Comme elle le racontait au Guardian en 2011 : « Il y a eu ces dix années, depuis la moitié des années 90, où je n’ai pas pu réaliser de film. C’était beaucoup dû au fait d’être une femme. C’est clairement un facteur dans le financement. Durant cette période, c’était impossible de lancer quelque chose, donc j’ai juste dit « Je vous emmerde » et j’ai fait des courts métrages en Super 8 à la place ». C’est ce qu’on appelle le cinéma indépendant américain, domaine dans lequel on peut préserver une grande liberté de sujets et de mise en scène, mais tout particulièrement fauché. Mais peu à peu avec ténacité, elle réalise d’autres films, souvent montrés au festival de Deauville en France. En 2008 Kelly Reichardt a été sélectionnée dans la section cannoise Un certain regard pour « Wendy et Lucy » : la légende veut que son film ait été envoyé au Festival via une clé USB. A la Berlinale a été découvert « First cow » (2019) western américain revisité à travers un duo d’aventuriers qui survivent grâce à une vache. Elle leur permet de fabriquer des gâteaux qu’ils vendent dans un territoire peuplé d’Indiens et de chercheurs d’or patibulaires. « Showing up » en compétition à Cannes en 2022 faisait le portrait d’une sculptrice fauchée, stressée par la préparation de son exposition. Une vie chaotique et sympathique en autoportrait, incarnée par la grande Michelle Williams. Kelly Reichardt ne vit de son travail de cinéaste que depuis une dizaine d’années (elle était professeur d’art). En 2021 cette soixantenaire a eu droit à sa rétrospective intégrale au Centre Pompidou.