On la surnomme la Erin Brockovich française… La pneumologue Irène Frachon raconte dans « Médiator, un crime chimiquement pur », une bande dessinée co-écrite avec le scénariste et ancien journaliste Eric Giacometti, le scandale sanitaire du laboratoire Servier qu’elle dénonce depuis 2007.
Dans le quotidien d’une lanceuse d’alerte
Pour Irène Frachon, tout commence en 2007, lorsqu’une de ses patientes, traitée au Médiator pour un diabète, se présente avec une hypertension artérielle pulmonaire (HTAP), dont la cause est, alors, déterminée inconnue. Des cas comme celui-là, elle en a déjà vus. Tracassée, Irène Frachon ne dort plus. Au fil de ses recherches, elle découvre la nocivité de ce médicament. Petit rappel : le Médiator est un dérivé de l’amphétamine, élaboré par le laboratoire Servier pour traiter, à l’origine, le diabète. Commercialisé à partir de 1976, le produit a principalement été consommé comme coupe-faim, en majorité par des femmes…
En découvrant que cette nocivité est consciemment dissimulée, Irène Frachon se lance dans le combat contre le laboratoire Servier. Autant le dire, être lanceuse d’alerte est loin d’être une promenade de santé. Les doutes persistants, les espoirs de réussite réduits à néant, les moments en famille sacrifiés, l’isolement… Malgré tout cela, Irène Frachon n’a rien lâché. Trop de vies étaient, et sont encore, en jeu : la pneumologue recense des milliers de morts suite à des valvulopathies et des dizaines de milliers de victimes handicapées pour le reste de leur vie. De 2007 à 2009, son enquête et sa détermination sans faille sont parvenues à mettre à mal l’un des plus grands laboratoires français. La commercialisation du Médiator a officiellement été interdite en 2009.
Les femmes, premières victimes de ce scandale politico-sanitaire
Mais pourquoi a-t-il fallu attendre autant d’années avant le retrait du Médiator ? Avec minutie et pédagogie, Irène Frachon et Eric Giacometti reviennent sur ce scandale sanitaire, qui en cachait un autre. Car au-delà de la nocivité de ce médicament, c’est la proximité entre les laboratoires, les institutions supposées les réguler et la sphère politique qu’a découvert Irène Frachon. Une complicité qui a fortement contribué à fragiliser la confiance des citoyens en l’industrie pharmaceutique. Et qui furent les premières à en pâtir ? Les femmes ! La pneumologue estime qu’elles représentent 70% des victimes du Médiator. Sa bande dessinée vise, aussi, à dénoncer l’enjeu commercial qui sous-tend l’injonction à la minceur faites aux femmes.
Une BD pour retracer le fil
Dans cette BD, avec le recul, les auteurs parviennent à dresser un portrait sans concession du laboratoire Servier et de ses manigances. Outre l’affaire du Médiator, il est aussi question de l’Isoméride, un autre dérivé d’amphétamine. Une molécule également commercialisée par… Servier ! Retiré du marché en 1997, notamment grâce aux combats de médecins et de certains journalistes tels qu’Eric Giacometti qui a fait paraître plusieurs enquêtes à ce sujet, ce coupe-faim a causé des dégâts considérables, allant même jusqu’à provoquer des épidémies mortelles d’HTAP.
Avec cette BD, Irène Frachon et Eric Giacometti veulent faire connaître ce scandale, dans sa globalité, au plus grand nombre. Elle est parue quelques jours avant l’ouverture du procès en appel à l’encontre du laboratoire Servier et de son dirigeant, le 9 janvier dernier. C’est désormais aux lectrices et lecteurs de se saisir de cette histoire, où la réalité dépasse – hélas – la fiction.
Médiator, un crime chimiquement pur, d’Irène Frachon et Eric Giacometti (scénario) et François Duprat (dessin). Éd Delcourt, 200 pages, 23,95€.
