Chronique de Cannes. Deux réalisatrices de la compétition officielle cannoises signent des œuvres étranges et fantastiques peuplées de fleurs inquiétantes pour « Little Joe », de fantômes de migrants dans « Atlantique ».
S’il y a un genre cinématographique au sein duquel les réalisatrices sont peu présentes c’est bien … le film de genre. Le Hollywood Reporter s’est amusé à compter le nombre de thrillers au marché du film cannois cette année : sur 160 « action thrillers » du monde entier seulement 9 sont réalisés par des femmes. Mais les choses changent. Avec « Grave », teen movie sanglant, la jeune Julia Ducournau a été révélée il y a trois ans à la Semaine de la critique. Aujourd’hui, dans la compétition officielle, la plus exposée médiatiquement, deux des quatre femmes sélectionnées ont proposé des films mêlant l’étrange, le fantastique, l’onirisme et l’inquiétant.
Dans « Little Joe », Jessica Hausner (autrichienne) évoque le lien maternel à travers Alice, une phytogénéticienne qui vient de découvrir une plante qui rend son propriétaire heureux, et son fils adolescent, Joe. Enfreignant le règlement, Alice va sortir de la serre une de ces fleurs pour l’offrir à son fils. Baptisée Little Joe, cette jolie Frankenstein florale échappe bien vite au contrôle de sa créatrice. Plongée dans l’ambiguïté du lien maternel et plus prosaïquement dans la mauvaise conscience qui habite les mères qui travaillent trop, ce thriller léché aux couleurs pops peine cependant à convaincre.
Ce n’est heureusement pas le cas d’ « Atlantique », premier film de la franco sénégalaise Mati Diop, une vraie réussite qui crée l’événement à Cannes. Le lendemain de la montée des marches des « Misérables » de Ladj Ly, polar sur Montfermeil au casting noir et jeune, « Atlantique » est un autre symbole (fort) puisqu’il s’agit du premier film africain réalisé par une femme à avoir les honneurs de la sélection officielle. La cinéaste n’a pas eu peur d’embrasser plusieurs sujets : l’exploitation d’ouvriers sur le chantier d’une improbable tour futuriste de Dakar, leur départ désespéré sur la mer, le cynisme des jeunes filles pour qui un mari riche est la seule forme d’émancipation, les difficultés d’une adolescente pour prendre sa liberté. Par la magie de la réalisation, ces questions sociales sont magnifiées et deviennent un conte fantastique peuplé de fantômes des migrants qui viennent hanter ceux qui sont restés au pays. Tourné dans une banlieue de Dakar, majoritairement de nuit, avec des comédiens non professionnels qui s’expriment en wolof, Atlantique est produit par les Films du Bal, société créée récemment par deux femmes, Judith Lou Levy et Eve Robin. Une magnifique découverte.
Extrait Little Joe
Extrait Atlantique