Après douze ans de combat acharné, Marine Martin obtient gain de cause. Le tribunal de Paris a déclaré le laboratoire Sanofi coupable de « défaut d’information » sur son médicament la Dépakine qui a causé des handicaps chez des milliers d’enfants. Encore une femme héroïque chez les lanceuses d’alertes.
Pendant douze ans, Marine Martine s’est battue pour faire reconnaître la responsabilité de Sanofi dans le handicap de milliers d’enfants en France. Ça a enfin payé. Ce lundi 9 septembre, le tribunal judiciaire de Paris a condamné le laboratoire à lui verser 285.000 euros d’indemnités pour « défaut d’information » concernant les risques de malformation et neurodéveloppementaux causés par la Dépakine, médicament commercialisé par le laboratoire depuis 1967 et désormais qualifié de « défectueux ».
30.000 victimes
À l’origine de l’engagement de Marine Martin : le handicap de ses enfants. Alors qu’elle est enceinte, elle prend de la Dépakine afin d’apaiser son épilepsie. Cet antiépileptique se révèle fœto-toxique. Or, aucune mention ne figurait sur la notice du médicament. Résultat : des milliers d’enfants de mères traitées à la Dépakine pendant leur grossesse sont nés avec des malformations congénitales et de troubles neurodéveloppementaux.
Les deux enfants de Marine Martin sont nés avec ces handicaps. Salomé, née en 1998, est touchée par des malformations au visage et souffre de troubles cognitifs, visuels et dyspraxiques. Florent, né en 2002, a des malformations au visage, aux mains et à la verge et a développé des troubles de l’attention, du langage et a été diagnostiqué autiste Asperger.
L’Assurance-maladie et l’Agence nationale de sécurité du médicament estiment à 30.000 le nombre de victimes de la Dépakine en France. Le valproate de sodium, principe actif de ce médicament, aurait causé des malformations chez 2.150 à 4.100 enfants et des troubles neurodéveloppementaux chez 16.600 à 30.400 enfants. Ces chiffres sont contestés par Sanofi.
Dès 2009, Marine Martin lance l’alerte sur la Dépakine et la responsabilité de Sanofi. En 2011, elle fonde l’association d’Aide aux parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anticonvulsivant (Apesac), qui compte aujourd’hui plus de 8.000 membres. En 2014, elle parvient à faire changer les conditions de prescription du médicament. En 2016, elle rend obligatoires les pictogrammes sur les boîtes de médicaments. En 2017, elle négocie un fond d’indemnisation pour les victimes. Enfin, en 2018, grâce à son combat, les études sur les troubles neurologiques liés à la Dépakine, mais également sur tous les autres antiépileptiques, se multiplient.
« Sanofi a utilisé tous les moyens possibles pour me décourager »
Pour éviter le procès, les tentatives pour faire taire Marine Martin sont multiples. En août 2023, l’Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux (Oniam) propose, à elle, son mari et leurs enfants, une indemnisation financière. Ces derniers acceptent… mais Marine Martin, elle, refuse. « On me proposait 16.000 euros, à peine le prix d’une voiture », citée par Le Monde. Elle ne baisse pas les bras et continue de se battre pour obtenir justice.
Le 9 septembre 2024, victoire ! Le tribunal de Paris déclare Sanofi « responsable d’un défaut d’information des risques malformatifs et neurodéveloppementaux de la Dépakine, qu’elle commercialisait, du maintien en circulation d’un produit qu’elle savait défectueux, et d’une faute de vigilance au moment des grossesses de Mme Marine Martin, entre 1998 et 2002 ».
Ce combat, Marine Martin ne le mène pas seulement pour sa propre famille mais pour toutes les victimes de la Dépakine. Le 2 août dernier, le tribunal judiciaire de Nanterre a déclaré quarante familles, soit près de 170 personnes, recevables à demander une indemnisation en cas de développement de troubles neurodéveloppementaux. « Moi, j’ai voulu continuer pour ouvrir la voie aux milliers de victimes que je fédère au sein de l’association. Je reste amère tant Sanofi a utilisé tous les moyens possibles pour me décourager et fuir ses responsabilités, confie la lanceuse d’alerte à l’issue du jugement à L’Indépendant, quotidien régional des Pyrénées-Orientales où elle réside. Mais cette décision est importante et emblématique du parcours judiciaire des victimes de la Dépakine. (…) Sanofi ne peut pas dire qu’il ne connaissait pas les risques à cette époque ni invoquer la responsabilité de l’agence du médicament pour s’exonérer de sa responsabilité. Et, il est urgent que la firme sorte de son attitude de déni méprisant vis-à-vis des victimes de son produit ».
Les femmes lancent l’alerte
Dans les scandales sanitaires, les femmes sont souvent celles qui lancent l’alerte. La pneumologue Irène Frachon a révélé l’affaire du Médiator, un médicament prescrit pour traiter le diabète mais qui fut davantage consommé comme coupe-faim, en majorité par des femmes, et qui a causé la mort de milliers de personnes. Joëlle Manighetti a exposé la nocivité des prothèses mammaires PIP, posées à plus de 300.000 de femmes dans le monde. Marielle Klein a permis de faire retirer les implants contraceptifs Essure du marché après avoir dénoncé leur impact sur la santé. Cette dernière avait dû subir une ablation de l’utérus à 39 ans.
Marine Martin fait partie de ces lanceuses d’alertes déterminées, des héroïnes dont les combats ont levé le voile sur les manquements sanitaires, les stratégies des laboratoires pour s’enrichir et la violence machiste. Pas à pas, ces héroïnes dessinent la perspective d’une médecine qui ne se ferait plus sur le dos des femmes et de leur santé.
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