
« Non violence », sculpture réalisée en 1980 par l’artiste suédois Carl Fredrik Reuterswärd et offerte aux Nations Unies par le Luxembourg en 1988. Elle est exposée devant le siège de l’ONU à New York. © Tressia Boukhors/IPS.
Une large majorité des États membres a dit « oui » à un traité pour mieux encadrer le commerce international des armes. Le texte « n’est pas parfait, mais il n’est sans doute pas totalement inefficace », résume un observateur de la société civile.
La sculpture géante d’un pistolet mis hors d’état de nuire, qui se trouve devant le siège des Nations Unies à New York, a pris une autre dimension après l’adoption, mardi 2 avril, du premier traité international sur le commerce des armes (TCA).
154 États membres ont voté « oui », tandis que 3 États votaient « non » et 23 s’abstenaient. Cette adoption à la majorité simple a mis un terme à 10 jours de négociations éreintantes qui ont vu échouer la tentative d’aboutir à un consensus.
Le TCA vise à limiter les transferts d’armement afin d’éviter des violations des droits humains. Il contraint juridiquement les États qui l’auront ratifié à faire état de leurs transferts d’armement et à établir si les armes risquent de tomber entre les mains de violateurs des droits humains et du droit humanitaire.
Le traité sera ouvert aux signatures à partir du 3 juin et entrera en vigueur quand au moins 50 États l’auront ratifié, sans obligation légale pour ceux qui ne l’auront pas encore fait. « Les résolutions de l’Assemblée générale de l’ONU ne sont pas juridiquement contraignantes, mais il y a une obligation politique de s’y soumettre », explique Nikola Jovanovic, porte-parole de l’Assemblée générale.
Zone grise
Le 28 mars, les États membres ont eu l’occasion d’adopter le TCA par consensus. Mais trois États, l’Iran, la Corée du Nord et la Syrie, ont bloqué ce processus. Il se sont appuyés sur une série de raisons, allant des craintes pour leur sécurité intérieure à la menace des groupes terroristes.
La National Rifle Association – la NRA, le puissant lobby des armes aux États-Unis – a également exprimé son opposition, arguant, sans que cela soit fondé, que le TCA restreindrait le droit à porter des armes garanti par le second amendement de la constitution US.
Les critiques de la société civile, de leur côté, soulignaient que le traité ne ferait qu’égratigner le complexe militaro-industriel et le commerce mondial des armes, estimé à plus de 50 milliards d’euros par an.
« Le traité ne réduira pas les exportations, et ce n’est pas son but », indique Ann Feltham, coordinatrice de la Campagne contre le commerce des armes, l’une des plus critiques : « Ce serait mieux de ne pas avoir de traité, dans la mesure où ce texte légitime les exportations d’armes et fournit des justifications aux gouvernements ».
De fait, la vaste « zone grise » du commerce des armes – où se mélangent les arrangements légaux ou illégaux entre gouvernements, les groupes industriels et les marchands d’armes – a rarement été mise au centre des négociations. La Bolivie, par exemple, s’est abstenue lors du vote final en dénonçant l’incapacité du traité à endiguer les profits réalisés par les géants de l’armement grâce aux conflits.
Trois versions pour une adoption
Pour autant, même si la plupart des États membres qui participaient aux négociations auraient préféré un traité plus robuste, « les principaux fournisseurs d’armes ont soutenu un traité qui ne remet pas en cause leur capacité à vendre des armes à qui ils le souhaitent », analyse Natalie J. Goldring, du Center for Peace and Security Studies de l’Université de Georgetown.
Elle reconnaît toutefois que le texte, s’il est réellement respecté, aura un impact sur les fournisseurs et les acheteurs d’armes. « Les fournisseurs devront prendre davantage en considération les questions de droits humains et humanitaires avant de décider de vendre des armes ».
Et de souligner une avancée « extrêmement importante » : malgré les objections des États-Unis, les munitions ont été incluses dans le champ d’application du texte. Un texte qui aura changé trois fois de forme durant les 10 jours de négociation. La première version était une « révision juridique » de la version de juillet 2012, que les États membres n’avaient pu adopter en raison de l’opposition des États-Unis
La deuxième version, proposée par le président de la conférence, Peter Wolcott, a été vivement critiquée par les organisations de la société civile pour son langage « édulcoré ».
Après la mise au jour de la version finale, la responsable de la campagne pour le contrôle des armes de l’OGN Oxfam, Anna MacDonald, saluait les « quelques améliorations » apportées, notamment dans l’évocation des munitions et des armes conventionnelles.
« Ce n’est toujours pas le texte idéal », juge-t-elle, citant l’absence de référence au développement social et économique, et le champ restreint des armes couvertes par le traité. « Mais la pression est désormais sur tous ces gouvernements qui s’engagent pour un contrôle strict du commerce des armes. Il devront s’assurer que le traité sera respecté suivant les normes les plus élevées possibles ».
L’adoption du texte « envoie un message clair aux marchands d’armes, aux seigneurs de guerre et aux dictateurs que leur heure a sonné. Ils ne pourront plus opérer et continuer à acquérir des armes en toute impunité. Le monde aura les yeux rivés sur eux et ils devront désormais rendre des comptes », souligne par ailleurs Anna MacDonald.
Le traité « peut faire la différence s’il est mis en application de bonne foi dans le cadre des Nations Unies. Il n’est pas parfait, mais il n’est sans doute pas totalement inefficace », commente Paul Holtom. Le directeur du programme sur les transferts d’armes au Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), se félicite que le traité comporte des outils « pratiques » qui peuvent permettre « d’empêcher la dispersion des armes et leur commerce illicite ».
Traité évolutif
Parmi ces outils, on trouve par exemple des « listes de contrôle » que les États qui auront ratifié le traité devront mettre en place. « Il s’agira d’établir quelles armes précisément seront soumises aux contrôles avant leur transfert », ce qui sera utile pour lutter contre les infractions douanières.
Quelques États disposent déjà de listes de contrôle qui couvrent un champ plus vaste que les huit catégories d’armement inclues dans le traité, explique Paul Holtom. Il espère qu’à l’avenir le dialogue international permettra d’étendre le champ des armes concernées par les listes de contrôle à la fois au niveau national et dans le TCA.
Un autre élément significatif du traité est l’inclusion des pièces détachées et des composants. Car en l’état du marché de l’armement, explique Paul Holtom, les armes ne sont pas forcément vendues sous leur forme finie.
Qu’est-ce qui différencie ce traité des autres textes sur les armes signés par le passé ? « Il est très différent des traités sur la non-prolifération ou le désarmement. Il n’appelle pas à une interdiction », commente Paul Holtom. Ajoutant : « Ce qui est significatif, c’est qu’il a été négocié dans le cadre de l’ONU. » Les autres textes majeurs – comme ceux sur les mines antipersonnel ou les bombes à sous-munitions – ont été négociés en dehors du cadre onusien.
Car le traité contient une section importante, celle des amendements. « Ce qui lui laisse la capacité de se développer », souligne le chercheur du SIPRI. Ainsi, le champ d’application pourra évoluer, afin de répondre à l’évolution technologique de l’armement. Paul Holtom note que, par exemple, les drones armés ne sont pas concernés par le TCA, mais pourront l’être un jour.
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