Au Musée d’Orsay, la nouvelle exposition Masculin / Masculin mène un combat singulier et joyeux : « réhabiliter le nu masculin » dans l’art, avec 200 œuvres de 1800 à nos jours.
« Masculin / Masculin – L’homme nu dans l’art de 1800 à nos jours ». Avec cette nouvelle exposition temporaire du Musée d’Orsay, il s’agit moins d’assister à un défilé de fesses bien sculptées qu’à une mini-révolution dans le milieu artistique : la première exposition à s’intéresser à la question en France, à la suite du Musée Leopold de Vienne, partenaire de l’exposition, il y a un an. Car « quand on dit ‘nu ‘, on pense ‘nu féminin’ », souligne Ophélie Ferlier, commissaire de l’exposition dans l’équipe de Guy Cogeval, à l’initiative du projet.
Audacieux, mais pas trop
Si l’équipe se défend de faire de la provocation, l’approche audacieuse est clairement faite pour poser question. Par le thème bien sûr – « une frange conservatrice du public risque d’être un peu déroutée », admet Ophélie Ferlier – mais surtout par le traitement : un parcours thématique qui fait fi de toute chronologie, mêlant avec joie les œuvres les plus éloignées. Surréaliste, au sens fort.
L’expo a fait le buzz avant même le 24 septembre, jour d’ouverture, mais l’attente semble être retombée comme un soufflé et les critiques sont tièdes, la jugeant ou trop sage, ou trop osée. On notera que les critiques d’art qui y ont vu un « divertissement » sont des hommes, peut-être un peu vexés d’être de la sorte réduit à des « objets de désir ». Le blog Lunettes rouges, du Monde.fr souligne de son côté qu’une telle présentation du nu féminin provoquerait la rage des féministes…
Féminisme vengeur de la part du musée d’Orsay ? Expérience d’échange des rôles regardant/regardé ? Si la déconstruction des genres n’est pas au centre de l’exposition, elle en est incontestablement un fil souterrain : en témoigne ce titre « Masculin / Masculin », clin d’œil au film de Godard et à l’exposition Masculin/Féminin du Centre Pompidou. Parfois elle est frontale avec les œuvres de l’artiste contemporaine Orlan (dont L’origine de la guerre, version masculine de L’origine du monde) ou de Zoe Leonard et sa Pin-up barbue.
Quand les héros côtoient les homos
Présente par touche, suggérée au fil des pièces, le spectateur ne peut échapper à la réflexion sur le genre : rappelons que le siècle phare à Orsay est celui de la virilité triomphante – dont nous sommes les héritiers – du nu féminin de Courbet, Degas, Manet… et du déclin relatif du nu masculin.
L’exposition commence par souligner l’importance historique du nu masculin classique, qui était au cœur de la formation de l’artiste depuis la Renaissance ; il suffit d’évoquer Michel-Ange ou les figures du héros antique réhabilité par le néoclassicisme, notamment David et son Patrocle.
Dans le nu héroïque le peintre projette un idéal fantasmé de lui-même et de la Nation : mais les héros à Orsay s’encanaillent auprès de l’esthétique homoérotique et kitsch de Pierre et Gilles : beaux jeunes hommes et décors mythologiques ultra-colorés. Un superbe Faune Barberini transpire l’érotisme, Saint-Sébastien lui-même devient au fil du temps une figure d’adoration sensuelle.
Jouer avec les corps
Au cours du 19ème siècle, avec l’affirmation du courant réaliste, plus question de se languir : les corps nus sont morts, prosaïques, vulnérables. Enfin, presque : un Coup de grisou (ci-contre) devient l’occasion, qui prête à sourire, d’une pose suggestive. On joue visiblement avec les visiteurs : dans la dernière pièce intitulée « le désir masculin », L’École de Platon, (ci-dessous) un tableau du musée d’Orsay jusqu’ici ignoré des visiteurs, est mis en vedette, et son côté sulfureux saute aux yeux.
On s’amuse, on s’extasie aussi : on y verra une série de Bacon, un Picasso, le Papa mort de Ron Mueck, des tableaux nordiques sur l’homme et la nature, de belles découvertes dont L’Homme en Noir d’Henri Foucault et une superbe sculpture de Louise Bourgeois, Arch of Hysteria.
A Orsay on n’a pas peur de l’histoire culturelle : « Il y a du second degré, c’est une vision triomphante de l’homme, et pas du tout avilissante », insiste Ophélie Ferlier. Quand le nu féminin est devenu une banalité, son pendant « mâle » est une façon d’insuffler du désir et de la vie dans les musées.
« Masculin / Masculin – L’homme nu dans l’art de 1800 à nos jours »
Oeuvres illustrant cet article (par ordre d’apparition) :
Huile sur toile