Zahia Dehar incarne l’une des deux héroïnes du nouveau film de Rebecca Zlotowski, conte d’été à la fois léger et politique.
Naïma, jeune cannoise de 16 ans, se demande que faire de sa vie. Elle se donne un été pour se décider. La vie de sa pulpeuse cousine Sofia, venue passer quelques semaines chez elle, a l’air bien agréable : se maquiller, choisir de jolis vêtements, sortir en boite, finir la nuit sur un des yachts du port que Naïma ne faisait jusqu’ici que contempler du quai. Une vie prétendument facile, où l’on peut changer de classe sociale en une nuit, découvrir comment ça se passe tout là-haut, là où ça brille…
« Une fille facile » est la réponse de Rebecca Zlotowski à « La collectionneuse » de Rohmer un demi-siècle plus tard. Son conte d’été faussement badin commence avec le « Carpe Diem » que Sofia a tatoué en bas de sa cambrure pour continuer sur la réalité toute nue : pas si facile, la vie d’une escort-girl, payée en cadeaux de prix et de marque, femme trophée qu’un milliardaire exhibe avant de s’en débarrasser lâchement. Le temps d’un été c’est pour Naïma un apprentissage accéléré de la sexualité et de son commerce. Ecoutera-t-elle sa maman, femme de chambre dans un hôtel de luxe, qui lui balance : « Tu vois pas que la liberté c’est plus de travail que d’aller au bureau ? »
Le véritable choix politique – et médiatique – de la réalisatrice a consisté à offrir à Zahia Dehar le rôle de Sofia. Apparue dans les médias en 2010 à la faveur d’un scandale (mineure, elle a été offerte en cadeau d’anniversaire à un footballeur célèbre), cette jeune française d’origine algérienne a d’ailleurs elle-même contacté la réalisatrice. La collaboration entre Zahia, aujourd’hui mannequin créatrice de lingerie et instagrameuse aux 152 000 abonnés et Rebecca, réalisatrice abonnée aux sélections dans les festivals internationaux, militante féministe dans le cadre de l’association 50/50 pour 2020, bouscule les apparences. Le film ne se contente pas d’utiliser la plastique spectaculaire et le phrasé à la Bardot de Zahia : on est en 2019, la courtisane a de la répartie, a lu tout Duras et revendique sa liberté (« n’attends rien, provoque tout par toi-même »). L’ insulte « fille facile » devient l’étendard d’un choix de vie, d’ailleurs en interview Zahia ne manque pas de citer la suisse Grisélidis Real, écrivaine, artiste peintre qui a beaucoup écrit sur sa vie de prostituée. Quant à la petite cousine Naïma (belle découverte que la jeune inconnue Mina Farid), même si elle est aussi discrète que sa cousine est tape à l’œil, elle aura le dernier mot, en toute connaissance de cause.
Cependant, si le film se veut féministe en défendant la sexualité libérée des femmes, il n’est pas suffisamment explicite dans la critique de la marchandisation des corps. La fondation Scelles par exemple regrette qu’il puisse même laisser croire que cette marchandisation est un moyen d’émancipation. Pas facile de faire un film sur les « filles faciles ».
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« Une fille facile » de Rebecca Zlotowski, scénario Rebecca Zlotowski avec la collaboration de Teddy Lussi-Modeste, avec Mina Farid, Zahia Dehar, Benoît Magimel, produit par Les Films Velvet, distribué par Ad Vitam. Prix Sacd à la Quinzaine des réalisateurs du festival de Cannes, en salle le 28 août 2019 (France, 1h30).
Bande annonce https://youtu.be/tICQGhawKUI
Ce qu’en dit la réalisatrice :
C’est le quatrième film de Rebecca Zlotowski après Belle Epine, Grand Central et Planetarium. Elle a également réalisé la série Les Sauvages, co-écrit et adapté du roman de Sabri Louatah, qui sera diffusée sur Canal+ à la rentrée.
« Cette fille désignée comme une fille facile est à mes yeux une fille puissante. Je voulais proposer un autre regard sur une femme que la société, au mieux moque, au pire méprise. »
A propos de « La collectionneuse » d’Eric Rohmer : « Sorti en 1969, fait rapidement, c’est un regard brillant que Rohmer porte sur l’émancipation sexuelle. La tirade de Daniel Pommereul à Haydée Politfoff où il lui dit « Tu es l’échelon le plus bas de l’humanité », c’est quand même exactement ce que la vox populi a pensé de Zahia Dehar pendant longtemps. Et encore aujourd’hui. »