Après une vaste enquête du New York Times révélant des vidéos pédopornographiques et de viols accessibles sur Pornhub, certains partenaires et les autorités canadiennes tentent de contrer la plateforme.
L’écrivain Nicholas Kristof, lauréat du prix Pullitzer, qui est à l’origine de la vaste enquête du New York Times du 4 décembre dernier dénonce le côté obscur de la plateforme : « Son site est infesté de vidéos de viols. Il monétise des viols d’enfants, de la pornographie de vengeance, des vidéos de femmes prenant une douche, des contenus racistes et misogynes, et des images de femmes asphyxiées dans des sacs en plastique ».
Suite à cette enquête intitulée «The children of Pornhub» («Les enfants de Pornhub» ), des entreprises de système de paiement ont réagi. Mastercard a lancé une enquête contre Pornhub.com. « Si les affirmations sont fondées, nous prendrons des mesures immédiates » déclarent des responsables Mastercard sur Bloomberg News. Ce n’est pourtant pas la première fois que la plateforme est dénoncée.
3,5 milliards de visites par mois
Pornhub, dont le siège est à Montréal, est un site web diffusant des vidéos pornographiques en streaming, avec 3,5 milliards de visites par mois, ce qui le place devant Amazon et Netflix. Son influence est donc colossale. La plateforme appartient à la multinationale MindGeek, spécialisée dans la pornographie et propriétaire des plus grands sites. La société mère fait, elle aussi, l’objet d’une enquête de la part de Visa.
Une étude réalisée cette année par une société de marketing numérique a conclu que Pornhub était la société technologique ayant le troisième plus grand impact sur nos sociétés, après Facebook et Google mais devant Microsoft, Apple et Amazon.
Pornhub fonctionne comme YouTube : il permet àux internautes de poster leurs propres vidéos, soit 6,8 millions de nouvelles vidéos par an. Comme il est impossible de savoir avec certitude si un.e jeune dans une vidéo a 14 ou 18 ans, ni Pornhub ni personne d’autre n’a une idée précise de la quantité de contenu illégal.
Mais le vrai problème, c’est que la plateforme permet de télécharger ces vidéos directement depuis son site web. Ainsi, même si une vidéo pédocriminelle est retirée à la demande des autorités, il peut être déjà trop tard : La vidéo continue de vivre, car elle est partagée avec d’autres ou téléchargée encore et encore.
Comme l’écrit Nicholas Kristof, « le problème ce n’est pas la pornographie, c’est le viol. » Tout comme avec Harvey Weinstein ou Jeffrey Epstein, le problème n’était pas les relations sexuelles, mais l’absence de consentement. Et le problème va bien au-delà d’une seule entreprise. Des images d’abus d’enfants apparaissent également sur des sites grand public comme Twitter et Facebook.
Une pétition contre le site
Pornhub a déjà fait l’objet de restrictions. Une pétition lancée en mars dernier, visant à fermer le site a reçu 2,1 millions de signatures. PayPal a coupé ses services à la société, et les sociétés de cartes de crédit ont été invitées à faire de même. Vingt membres du Parlement canadien ont demandé à leur gouvernement de sévir contre la société de porno.
Le gouvernement de Justin Trudeau a été interpellé à plusieurs reprises à ce sujet. Mais la sénatrice indépendante, Julie Miville-Dechêne, s’insurge « Je ne suis pas du tout satisfaite des réponses que j’ai obtenues jusqu’à maintenant dans ce dossier. Je pense qu’il faut intervenir rapidement […] Il n’y a aucune raison d’être attentiste comme on l’est. »
En réponse à ces accusations, la société a indiqué que « Pornhub s’est engagé sans équivoque à lutter contre le matériel pédopornographique et a mis en place une politique de confiance et de sécurité globale, à la pointe de l’industrie, pour identifier et éradiquer le matériel illégal de notre communauté».
Des modérateurs fantômes
Cette « politique à la pointe de l’industrie», ce sont quelques modérateurs chargés de filtrer les vidéos à caractère illicite. Nicholas Kristof a interrogé l’un d’eux : « Le but d’un modérateur de contenu est de laisser passer le plus de contenu possible » écrit-il. Selon son enquête, le site emploie environ 80 modérateurs pour 1,36 millions de nouvelles vidéos téléchargées par heure. En comparaison, Facebook en embauche 15 000.
L’écrivain conclut sa chronique avec peu d’espoir, comme il le dit, sans vraie solution, mais avec quelques propositions pour limiter l’impunité des dirigeants : N’autoriser que les utilisateurs vérifiés à poster des vidéos, interdire les téléchargements, augmenter la modération. « Le monde a souvent été inconscient des abus sexuels sur les enfants, de l’Église catholique aux scouts. Trop tard, nous poursuivons des individus comme Jeffrey Epstein ou R. Kelly. Mais nous devons également nous opposer aux entreprises qui exploitent systématiquement les enfants. Avec Pornhub, nous avons Jeffrey Epstein fois 1 000 » écrit-il.