Aurore Evain a travaillé sur les autrices de théâtre de l’Ancien Régime (lire son interview). « Autrice », le mot est important à ses yeux : elle a aussi travaillé sur son histoire.
« Auteure, c’est le féminin discret – parce que les femmes doivent être discrètes. C’est un féminin de compromis », déplore Aurore Evain, comédienne, dramaturge, chercheuse et fervente partisane de la forme autrice ; Pour elle, « symboliquement, il y a une violence » dans la suppression de cette forme ancienne, vue aujourd’hui à tort comme un néologisme.
Autrice dérive de auctrix, féminin latin de auctor – auteur. Déjà, à l’époque, le terme est contesté : lorsque les premiers grammairiens latins codifient la langue, ils mentionnent l’existence du féminin mais le déclarent peu utilisé, voire incorrect. Maurus Servius Honoratus explique par exemple que auctrix est toléré lorsqu’il dérive du verbe augeo (au sens de « celui ou celle qui accroît ») ; lorsque auctor dérive de auctoritas (au sens de « auteur de quelque chose » et qui a également donné « autorité »), il est par contre générique et l’emploi d’auctrix est interdit.
Au XVIIe siècle, l’« auteur » va devenir un métier et gagner en prestige ; dans le même temps son féminin va disparaître. On observe le chemin inverse pour « acteur » : tant qu’il recouvrait un sens large, avec un rôle social et des fonctions, « actrice » n’est pas acceptée ; lorsque l’acteur devient simplement celui qui joue la comédie, son féminin entre enfin dans les dictionnaires. Mais si autrice est banni officiellement, certains et surtout certaines continuent à l’utiliser.
« Les historiens de la langue savent que autrice est légitime, mais lorsqu’on a commencé à féminiser les noms de métiers il était trop dérangeant. Auteure est une demi-mesure », explique Aurore Evain. « Le féminin ne s’entend pas dans auteure et il y a un manque d’équivalence. On a directeur, directrice, acteur, actrice… mais auteur, auteure ? »
Le guide de la féminisation des noms de métiers, titres, grades et fonctions, édité par le gouvernement en 1999, fait état de trois exceptions au féminin en -trice (ou en -oresse) : auteur, docteur et pasteur. Tout en relevant qu’il s’agit de « formes morphologiquement régulières et attestées », le guide indique qu’elles « ne sont plus acceptées aujourd’hui ». Sans plus d’explication. Autrice n’est pas reconnu par l’Académie Française, qui n’accepte pas non plus auteure, et pour cause : les Académiciens restent réfractaires à toute féminisation de la langue.
Mais ce féminin reste utilisé en Suisse et dans certains pays d’Afrique francophone ; il a sa place dans le Petit Robert depuis 2003, est accepté dans le Scrabble depuis 2004… et utilisé par certain-e-s féministes, donc, comme le collectif H/F dont fait partie Aurore Evain.