
Photo © Naresh Newar, IPS
Au Népal, le mariage est interdit avant 20 ans, mais de nombreuses filles sont mariées bien plus jeunes. Car c’est encore souvent la pauvreté qui fait la loi.
« Je vois mes jeunes frères et sœurs aller à l’école et cela me rend heureuse », assure Kamala Chepang, dans le village reculé de Shaktikhor, à 300 kilomètres au sud-ouest de Katmandou, la capitale népalaise. Kamala, elle, ne va pas à l’école. Elle a été mariée à l’âge de 13 ans, car ses parents n’avaient pas les moyens de payer les études de tous leurs enfants.
Des milliers de jeunes filles comme elle, particulièrement dans les communautés les plus marginalisées, comme les Chepangs, ne peuvent poursuivre leurs études en raison de la pauvreté, des barrières sociales et du manque d’écoles dans les régions rurales isolées.
Pourtant, la loi népalaise fixe à 20 ans l’âge minimum légal du mariage pour les deux sexes. Mais l’enquête démographique et sanitaire menée dans le pays en 2006 montre que 60% des Népalaises âgées de 20 à 49 ans ont été mariées avant d’avoir 18 ans.
Les derniers chiffres du Fonds de l’ONU pour la population (UNFPA) dévoilés le 11 octobre font tout de même état de progrès : chez les 20-24 ans, le taux de mariage avant 18 ans s’élève à 41%. De nombreuses familles rurales marient leur fille dès l’âge de 11-13 ans, car plus elle est âgée, plus la demande de dot est élevée.
Le Népal affiche de piètres scores en matière d’égalité des genres : en 2011, il pointait à la 126ème place sur 135 pays dans l’indice ‘Global Gender Gap’ du Forum Economique Mondial. C’est également un pays où plus de la moitié des 30 millions d’habitants vivent avec moins d’1 euro par jour.
L’adieu à l’école
« Le mariage précoce change la vie d’une fille, parce que les parents ne veulent plus investir dans ‘la propriété de quelqu’un d’autre’ », explique Kaman Singh Chepang, militante de la Nepal Chepang Association, une ONG travaillant auprès de la communauté Chepang.
La tendance, qui était d’envoyer les jeunes filles dans la maison de leur mari, a changé. Aujourd’hui la plupart d’entre elles restent avec leur mère jusqu’à l’âge de 16 ans. Mais leur vie change radicalement après leur mariage, et elles ne retournent que rarement à l’école.
« Et même si elles le font, leurs performances sont alors médiocres. Le mariage précoce a un impact négatif sur leur confiance en elles », note Sumon Tuladhar, spécialiste de l’éducation à l’UNICEF.
Pour Kaman Singh Chepang, la grande pauvreté et le manque d’initiatives gouvernementales pour scolariser les filles sont les principales raisons des mariages précoces. Pour éradiquer cette pratique, il faut une coordination étroite entre les secteurs du gouvernement dédiés à la santé, l’éducation, la pauvreté et la culture, et donner la priorité à la scolarisation primaire. « Mais le gouvernement n’est pas prêt pour une telle initiative ».
Dans les villages isolés, les filles doivent marcher des heures pour rejoindre les salles de classe. Et en rentrant elles sont trop épuisées pour faire leurs devoirs. Au bout du compte, elles abandonnent et aident leurs parents jusqu’à ce qu’elles soient mariées.
Dilemme
« Bien sûr, il faut agir de manière forte contre les mariages précoces. Le problème est que nous disposons de très peu de moyens pour faire respecter la loi », explique à IPS Dibya Dawadi, directrice-générale adjointe au ministère de l’Éducation.
Et, pour le gouvernement comme pour les ONG qui travaillent sur les mariages forcés, faire appliquer la loi est un dilemme, car cela impliquerait de poursuivre les parents. Pour Helen Sherpa, de l’ONG World Education, « le mariage précoce est le déni ultime des droits des enfants ». Mais « mettre une mère en prison n’apporte rien, surtout si elle a d’autres enfants, jeunes, et personne pour les nourrir ou les protéger ».
Le mariage précoce ne fait pas qu’empêcher l’accès à l’éducation. Il rend souvent les filles plus vulnérables aux discriminations, aux violences domestiques et aux abus sexuels. Confrontées à des grossesses avant d’atteindre la puberté, elles mettent leur vie et celle du bébé en danger.
Les acteurs de terrains sont unanimes : le changement ne peut survenir qu’en s’attaquant aux racines du problème : la situation économique. Car les filles sont une ressource dans les foyers et les fermes des zones rurales. « Notre plus grand défi, c’est l’attitude des familles à l’égard des filles », souligne Dibya Dawadi.
© 2012 IPS-Inter Press Service
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