Il n’a fallu que quelques jours, et une mobilisation en ligne, pour que Bien’Ici retire un film imprégné de codes de la masculinité toxique. Des codes encore très prégnants dans la publicité.
Le clip vidéo s’ouvre sur l’image d’un homme inquiétant en train d’aiguiser sa hache, seul, dans sa maison isolée près d’un lac (d’où le nom de la pub : “La maison du lac”), quand une jeune femme blonde toque à sa porte. À la fin, constatant que le sol est entièrement plastifié, elle lui demande : « Ah, tu vas faire de la peinture ? ». Il referme la porte, sa hache planquée dans le dos. L’annonce se conclut avec la tagline suivante : “Maison en forêt. Aucun voisin à moins de 5 km”. Sous-entendu, grâce à l’outil de localisation 3D “révolutionnaire” de Bien’Ici, « visualiser non seulement le bien immobilier convoité, mais aussi tout ce qui l’entoure »… et vous trouverez une habitation perdue dans les bois vous permettant de zigouiller des jeunes femmes.
Vidéo retirée
Cette pub est sortie le 4 septembre. Mais depuis, le site d’annonces immobilières, et son agence de création publicitaire et social média Steve, à l’origine de la vidéo, ont annoncé l’avoir retirée (mais on peut toujours la voir ici, donc pas complètement) de tous les canaux et supports de diffusion… en ayant l’air plus embêtés que sincèrement désolés.
La vidéo se voulait être une parodie en hommage aux films d’horreur hollywoodiens (euh…lesquels ?) – Il est l’un des quatre films de la campagne publicitaire de rentrée de l’annonceur, dont les trois autres sont plus courts, et pour le coup, véritablement drôles – mais « La maison du lac » n’est pas passée.
Féminicides glamourisés
Sur Instagram, @Pépitesexiste ou @adelphitefrance ont interpellé l’agence et la marque. sur LinkedIn, Léa Niang, consultante et formatrice en communication inclusive se fait aussi lanceuse d’alerte. Elle interpelle Bien’Ici : « Est-ce qu’on peut éviter de glamouriser les féminicides dans les spots de pub en 2024 ? ».
C’est une question tout à fait légitime. Alors qu’en France un féminicide se produit tous les 2 jours, à l’heure où les femmes se mobilisent en soutien à Gisèle Pélicot, à l’heure où les JOP ont été marqués par ces faits, comment est-il possible qu’aucune personne, dans l’agence créative comme chez l’annonceur, n’ait mis son veto à la diffusion de cette pub qui fait de l’humour avec les féminicides ?
Nous n’aurons pas de réponse claire de la part de Bien’Ici et de Steve (qui n’a pas voulu donner suite à nos sollicitations) à ces interrogations. Juste la publication de communiqués sur les réseaux le 12 septembre, deux jours après avoir été interpelés. Des excuses qui n’ont pas vraiment l’air d’en être : « Nous avons pris acte des réactions exprimées par des personnes qui ont perçu l’un des spots à la tonalité parodique comme choquant et inapproprié. […] Nous présentons toutes nos excuses à l’ensemble des personnes qui se sont senties heurtées par ce film ». Sous-entendu, on le retire parce qu’on nous le demande, pas parce qu’on reconnaît que son contenu est problématique. On ne pouvait peut-être pas en attendre plus d’une agence qui a Dorcel (entreprise de porno) comme client.
Stéréotype de la blonde écervelée
Une mise en scène de féminicide comme prétexte rigolo, le male gaze sur le corps de l’actrice, la représentation de celle-ci sous les traits du stéréotype de la blonde écervelée et commençant par un gros plan sur ses fesses… À part pour la musique et les bruitages, les éléments de la pub pour Bien’Ici échouent à reprendre les codes du film d’horreur américain, même pas de série Z.
Un vrai film du genre fait peur, intrigue, étonne… Mais ne donne pas des tips pour agresser une femme discrètement ! Et si c’est une parodie, elle doit faire rire et on doit immédiatement pouvoir identifier à quelles œuvres il est fait référence. C’est jouable, puisque CIF l’a fait : en 2024, les films publicitaires de la marque de nettoyants ménagers américains dévoilent 3 clips de campagnes clins d’oeil à Scream, Psychose et Halloween avec le même dénouement humoristique : les femmes victimes de psychopathes neutralisent leur agresseur parce qu’elles les ont vu arriver dans le reflet de leur couteau, pommeau de douche ou poignée de porte.
Codes de la masculinité toxique
Dans notre cas français, il est vaguement fait référence à American Psycho, le film de Mary Harron (une femme !), dans lequel Christian Bale incarne un golden boy de New York tiré à 4 épingles… En réalité un violeur et tueur de femmes psychopathe froid et gore. Mais là encore, ce n’est vraiment pas la bonne référence à adopter en 2024. De nos jours, Patrick Bateman, le personnage principal, est devenu l’idéal des masculinistes sur les réseaux sociaux. Soit l’archétype des hommes “sigmas”, qui érigent la froideur émotionnelle, les comportements sexistes et violents envers les femmes et l’argent en mode de vie. Mais peut-être que la pub – dont les auteurs sont, sans surprise, essentiellement masculins – visait spécialement cette cible marketing, et notallmen ?
En tout cas, les codes du film d’horreur comme du thriller n’y ont pas été respectés. Mais ceux de la masculinité toxique, du patriarcat, de l’espace public qui n’est pas safe pour les femmes seules et de la prédation, si.
La pub, une industrie encore hyper sexiste
Si une telle idée a germé dans des cerveaux de publicitaires, si elle a été adoubée par des annonceurs sans tiquer, c’est parce que la publicité en général est imprégnée de codes sexistes patriarcaux. La rapidité et la discrétion avec lesquelles le film a été retiré ne laissent même pas penser qu’ils ont cherché à faire le buzz. Le deuxième rapport de l’Observatoire de la Publicité Sexiste – Le sexisme dans la publicité française. 2022-2023 – a révélé que 87 % des publicités sexistes qui leur ont été reportées ciblaient le genre féminin.
Pour lutter contre ce qu’elle appelle le publisexisme – la R.A.P – à l’origine du rapport, préconise la création d’une autorité de régulation du secteur dotée de réels pouvoirs de régulation. Sur le plan institutionnel, on a pourtant déjà tout ce qu’il faut : un Jury de Déontologie publicitaire indépendant que l’on peut saisir gratuitement et qui rend des avis, un code de déontologie émis par l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP)…Sauf le pouvoir de sanctionner.
Dans ce contexte, pas étonnant que les publicités continuent à mettre en scène des rapports de domination en faveur des hommes, une invisibilisation des femmes en fonction de leur âge, leur hypersexualisation, leur stigmatisation, contribuant ainsi au maintien de stéréotypes féminins. La pub empêche ainsi une véritable progression de l’égalité femmes-hommes, et aucun garde-fou ne l’en empêche.
Miroir de la société cassé
La publicité – parce qu’elle utilise des techniques de persuasion et de manipulation psychologique – se doit d’être exemplaire. Pourtant, pour ce qui est du respect des femmes et de leur non-objectification, la résistance est encore très forte dans la pub et les médias.
S’ils veulent qu’elle soit comme elle se pense – un miroir de la société dans toute sa diversité – les publicitaires devraient commencer par potasser leur code de déontologie. Celui-ci indique que « la publicité doit éviter toute scène de violence, directe ou suggérée, et ne pas inciter à la violence, que celle-ci soit morale ou physique ».
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