
Photomontage : Nathalie Kosciusko-Morizet / Bertrand Pancher
Le Grenelle de l’environnement risque de « ressembler à la sortie d’un poulet dans une essoreuse ». La comparaison est signée d’un député UMP, inquiet du lobbying destiné à vider de son sens le volet de la loi consacré à la responsabilité sociale et environnementale des entreprises (RSE). Des ONG et syndicats interpellent également le Premier ministre.
Le « Grenelle 2 », pour l’instant, reste essentiellement théorique. Plus de 200 décrets sont prévus pour mettre en œuvre les mesures contenues dans la loi du 12 juillet 2010 « portant engagement national pour l’environnement ». Mais, en décembre, la moitié de ces décrets n’avaient pas encore été publiés.
Un retard tout à fait logique, se défend le ministère de l’Écologie : les aspects techniques des mesures nécessitent un vaste processus de concertation pour élaborer les textes d’application. Mais la ministre Nathalie Kosciusko-Morizet, auditionnée mardi 18 janvier par la commission développement durable de l’Assemblée nationale, dit espérer que tous les décrets seront publiés avant la fin de l’année 2011.
Déjà un recul
C’est justement ce processus qui inquiète les organisations impliquées dans la responsabilité sociale des entreprises (RSE). Une quinzaine d’entre elles – syndicats et ONG (1) – ont écrit une lettre ouverte au Premier ministre pour s’inquiéter d’une remise en cause de ce volet RSE, sous la pression du lobby des entreprises. Une pression qui, ajoutent-t-elles, bafoue la « transparence en matière de concertation qui avait présidé à l’élaboration du Grenelle. »
En jeu, l’article 225 de la loi, qui prévoit de renforcer le suivi des informations sur les performances sociales et environnementales des entreprises, informations devant figurer dans leur rapport de gestion. « Ce dispositif est d’ailleurs considéré comme innovant en Europe », soulignent les organisations.
Pourtant, il a déjà été en partie remis en cause par le Sénat. Un amendement inscrit dans la loi de régulation bancaire et financière, en octobre, a supprimé la possibilité pour les institutions représentatives du personnel et de la société civile (riverains, consommateurs, ONG…) d’insérer leur avis dans le rapport de gestion. « Cette situation empêcherait la société civile d’évaluer le respect des engagements des entreprises alors même que les atteintes aux droits sociaux, à l’environnement et aux droits humains ne cessent pas », dénoncent les signataires.
Lobby du patronat en embuscade
Et désormais, ces organisations craignent un nouveau coup de canif. Elles estiment que le décret d’application est bloqué « sous la pression d’un lobbying permanent de l’AFEP (Association française des entreprises privées), qui cherche à réduire la portée du texte ».
Ces organismes ont reçu le soutien du député UMP Bertrand Pancher, qui craint de voir le texte « ressembler à la sortie d’un poulet dans une essoreuse ». Le député, membre du comité de suivi du Grenelle, s’inquiète du « retour des lobbies dans tous les domaines ». Ils s’attaquent à présent au seuil à partir duquel les entreprises ont l’obligation de se soumettre à ce bilan environnemental. Dans la concertation du Grenelle, un consensus à pris forme autour d’un seuil de 500 salariés. Mais il n’est pas fixé dans la loi, qui renvoie à un décret. L’AFEP, puissante et discrète association liée au MEDEF et qui regroupe les plus grands patrons français, insiste pour qu’il soit porté à 5 000 salariés, voire davantage. Les Echos assuraient, le 18 janvier, que Bercy lui prête une oreille très attentive. Interpellée par Bertrand Pancher, Nathalie Kosciusko-Morizet dit vouloir s’en tenir, « évidemment », à ce seuil de 500 salariés. Mais admet que la question devra faire l’objet d’un arbitrage interministériel.
Le député, lui, en profite pour égratigner un autre lobby : celui « des organisations syndicales et salariées », qui freinent pour faire entrer les acteurs environnementaux dans les CESER – Conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux, eux aussi remodelés par le Grenelle. En conséquence, « leur entrée va tellement être discrète que personne ne va s’en rendre compte ».
(1) Les Amis de la Terre, Amnesty International France, Alternatives Economiques, CCFD, CFDT, CGT, CRID, France nature environnement, Greenpeace France, Ligue des droits de l’Homme, Oxfam France – Agir Ici, Peuples solidaires, Sherpa, WWF, France Nature Environnement, Entrepreneurs d’Avenir, le Collectif De l’Ethique sur l’Etiquette, le centre des jeunes dirigeants et l’Association OREE.