Marie Lormier (à droite) et Frédérique Goualard (à gauche), l’une compte parmi les benjamines de l’équipe de sages-femmes, l’autre parmi les aînées.
Derrière le combat pour le maintien de la maternité des Lilas, des dizaines de sages-femmes, puéricultrices, médecins, qui se battent pour une cause commune : permettre aux femmes de disposer librement de leur corps. Rencontre.
« Je donne rendez-vous à Marisol Touraine le 21 septembre à 11h devant la place des Lilas. » Pauline Cocquet, sage-femme de la maternité des Lilas depuis octobre 2011, a le mérite d’être claire.
Depuis juin dernier, avec l’ensemble de ses collègues médecins, auxiliaires de vie, sages-femmes, elle se bat pour que son lieu de travail, la maternité des Lilas, en Seine-Saint-Denis, reste ouvert. Elle rappelle que les ministres de la Santé et des Droits des femmes, Marisol Touraine et Najat Vallaud-Belkacem, « sont venues signer le panneau de la maternité (le 17 janvier 2013, NDLR) en affirmant qu’il fallait que cette maternité phare, qui se bat pour le droit des femmes depuis des décennies, ne soit pas fermée. »
Nues pour alerter, habillées pour manifester. Après plusieurs mois de bras de fer avec l’Agence régionale de santé (ARS), les sages-femmes de la maternité des Lilas s’affichent nues pour alerter l’opinion publique. Le collectif de la maternité des Lilas a déjà a reçu le soutien de plusieurs personnalités (dont Catherine Ringer, qui y a elle-même accouché, et Karin Viard), et a récolté plus de 19.000 signatures à une pétition de soutien, adressée à François Hollande, Marisol Touraine et Najat Vallaud-Belkacem. Prochaine mobilisation prévue le 21 septembre à 11h devant la mairie des Lilas. |
Près de 40 ans après la proclamation de la loi Veil, relative au droit d’avorter, le temple des accouchements naturels et des interruptions volontaires de grossesse (IVG) en Ile-de-France est menacé de fermeture. En janvier 2012, l’Autorité régionale de santé (ARS) assurait à l’établissement qu’elle financerait la construction d’une nouvelle enceinte, conformes aux normes requises,et le confirmait en septembre (Voir : La maternité des Lilas refleurit). Mais l’établissement apprend par courrier le 3 juin 2013 qu’il est de nouveau en sursis. Motif : déficit budgétaire.
Le panneau signé par Najat Vallaud-Belkacem et Marisol Tourraine lors de leur visite de la maternité le 17 janvier 2013.
Une raison qui fait sourire Pauline Coquet. « La majorité du déficit est due aux travaux qu’on a été obligé de faire sur demande de l’ARS », ironise la jeune femme de 28 ans. Avant d’ajouter, « C’est une structure vieille de plus de 50 ans. Les bâtiments ne permettent pas une complète rénovation, il faut changer d’endroit pour être en adéquation avec les nouvelles normes. »
La marche arrière de l’ARS, Pauline Coquet et les quelques 150 salariés de la maternité des Lilas la vivent comme une trahison. « On a des vidéos de François Hollande qui, avant d’être Président est venu et nous a dit : je prends date sur mon calendrier, je viendrai poser la première pierre du nouvel établissement. » Résultat : le Président de la République se fait toujours attendre puisque les travaux sont au point mort. A défaut de bâtir une nouvelle structure, l’ARS propose à l’établissement de déménager dans l’enceinte de l’hôpital de Montreuil. Face au refus du personnel médical, un moratoire du ministère de la Santé et de l’ARS est mis en place pour trouver une issue satisfaisante. Le verdict doit être rendu le 15 septembre.
Poser nue ? Une méthode comme une autre
C’est en guise de piqûre de rappel à ces belles promesses que Pauline et onze de ses collègues (onze sages-femmes, une gynécologue obstétricienne) ont fait le choix de poser nues dans un calendrier. « On a conscience que cette action peut être mal vue par certaines féministes. Mais c’est aussi parce qu’on vit pour une maternité qui se bat pour donner le droit aux femmes de disposer de leur corps qu’on a pris cette décision », explique la jeune femme.
Une opinion partagée par sa collègue Marie Lormier. Du haut de ses 25 ans, elle milite pour que les femmes puissent choisir librement leur accouchement. Le calendrier ? Une anecdote pour cette sage-femme en poste à la maternité des Lilas depuis deux ans et demi.
« Ce que l’on voulait avant tout, c’était ne pas être oubliées. Les échéances se rapprochent petit à petit et il fallait qu’on fasse le buzz, qu’on montre qu’on ne lâchera rien ». Pari réussi.
Féministe dans l’âme, elle tient à souligner que les « photos ont été faites sur le ton humoristique. Elles ne sont ni sexy ni glamour. » Pour elle, le message est ailleurs. « Le fait de poser nue est une méthode comme une autre, on peut ne pas être en accord avec. On ne tient pas à faire de rapprochement avec les Femen » assure t-elle.
Vanessa Cherubin, auxiliaire de vie depuis 10 ans à la maternité des Lilas.
Une décision que sa collègue Vanessa Cherubin, auxiliaire de vie à la maternité des Lilas depuis 10 ans, juge pourtant courageuse. « Je suis très fière de mes collègues. Elles ont eu le cran de défendre jusqu’au bout une cause qui leur semble juste. »
Car, si douze femmes apparaissent dans le calendrier, Pauline Cocquet et Marie Lormier tiennent à rappeler que ce sont 150 personnes qui sont mobilisées. « Aujourd’hui, on parle de nous avec ce calendrier. Mais il y a toute une équipe derrière : aides soignantes, puéricultrices, femmes de ménages, cuisinières, médecins. Tout le monde soutient le combat. »
La maternité des Lilas : un art de vivre
Pour Frédérique Goualard, sage-femme entrée en juin 1990 à la maternité, « les Lilas, c’est une famille. Avec ses travers, ses histoires, mais qui est soudée dans les bons et les mauvais moments ».
A 46 ans, elle est l’une des aînées de l’établissement. Elle, n’a pas posé nue dans le calendrier, mais n’en est pas moins résolue à faire entendre sa voix. Maman d’une petite fille de 12 ans, – qui l’accompagne aux manifestations de soutien -, elle a non seulement choisi de travailler au sein de cette structure, « une maternité à taille humaine », mais a aussi choisi d’y accoucher. Par convictions. « C’était le seul centre à l’époque où l’on ne mettait pas la lumière en direct sur le nouveau né, explique la sage femme. Aux Lilas, le bébé est accueilli en douceur, il est posé directement sur le corps de la mère alors que dans la plupart des centres, on met un linge stérile, on prend tout un tas de précautions. Quand même, s’il ne s’habitue pas aux microbes de sa mère ! »
Souvent critiquée dans les années 1980 pour être une « maternité écolo d’anciens soixante-huitards », la structure est aujourd’hui dépeinte par ses détracteurs comme un établissement pour « bobos ». Si Frédérique Goualard reconnaît qu’une partie de la clientèle vient de son propre fait, elle affirme que c’est avant tout un lieu respectueux des volontés des patientes.
Un discours similaire à celui de Marie Lormier, pour qui « Les Lilas est une maternité qui permet aux femmes de se réapproprier leur accouchement et du même coup, leur propre corps. Elles ont une grosse part de décision sur ce qu’elles sont en train de vivre. »
Non à la « marchandisation de la santé »
Ferventes défenseuses d’une maternité à échelle humaine, elles dénoncent la « politique de marchandisation de la santé » de l’ARS qui vise à « tout regrouper en gros pôles, tout simplement parce que ça rapporte plus avec peu de personnel » , affirme Marie Tournier. « Nous sommes tournées vers la condition des femmes. En tant que sages-femmes, on est évidemment en salle de naissance, mais on est aussi dans des actions de prévention en ce qui concerne la sexualité, les violences faites aux femmes, la contraception. »
Car s’il est question de la fermeture d’une maternité, ce que l’on dit moins c’est qu’il s’agit aussi de la fermeture d’un centre IVG. « Si on passe à Montreuil, c’est la suppression de l’un des plus gros centre IVG de Saint-Saint-Denis, un des seuls centres IVG qui prend en charge les femmes entre 13 et 14 semaines », alerte Marie Lormier.
Pour que les femmes puissent continuer à disposer de ce haut lieu du féminisme, ces drôles de sages-femmes utiliseront tous les moyens. Qu’on se le dise, elles n’ont pas l’intention de se taire.