Championne de France, championne d’Europe, championne du monde, il manque une seule case au palmarès de la boxeuse Sarah Ourahmoune : les Jeux olympiques. Grâce à une qualification historique, elle défendra les couleurs de la France à Rio. Retour sur son parcours, fait de hauts, de bas, mais surtout de combats. ENTRETIEN.
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Qu’est-ce que cela fait d’écrire l’histoire ? D’être la première boxeuse française qualifiée aux JO ?
J’éprouve une grande fierté, d’abord de représenter la France mais également d’être, avec mes collègues, les porte-drapeaux de la boxe féminine française. C’est une drôle d’histoire tout de même : j’étais la première française à faire de la boxe, je suis la première à aller aux Jeux ! Et je suis persuadée que cela aura de l’impact sur les jeunes filles.
Quand vous avez commencé la boxe, vous étiez la seule femme à monter sur le ring ?
Quand j’ai commencé, en 1997, les femmes en France n’avaient pas le droit de faire des combats. On pouvait s’entraîner quand les entraîneurs l’acceptaient – ce qui était assez rare. Deux ans plus tard, la France a autorisé les combats féminins mais c’était tardif en comparaison du Canada, de la Hongrie, de l’Italie…
Et pourquoi la boxe ?
Ça s’est fait un peu par hasard. Je venais de déménager à Aubervilliers, je cherchais un club de Taekwondo, sport que je pratiquais depuis 2 ans. Et puis un jour je suis passée dans une rue, la porte était ouverte, elle donnait sur la salle, je suis entrée, on m’a présenté la boxe anglaise (NDRL : seulement avec les poings) mais ça ne me tentait pas tellement, je ne trouvais pas que c’était un sport complet. Mais l’entraîneur a insisté pour que j’essaie et ça m’a tout de suite plu.
Il y avait une super ambiance, on s’entraînait en musique, on apprenait à toucher sans se faire toucher, c’était de la boxe éducative. Je m’entraînais avec mes copains du collège, j’étais intégrée, je ne posais pas de questions.
Mais quand j’ai commencé les cours du soir, avec les adultes, là c’était différent. Les hommes me faisaient des remarques : « Tu ne peux faire de la boxe, c’est trop dur, c’est pas fait pour les filles », ou : « Tu devrais aller voir la salle d’à côté, il y a de la gym ».
Ces remarques ne vous ont pas découragée ?
Non, au contraire, la boxe me plaisait vraiment, donc ça m’a motivée pour faire encore mieux. J’ai eu raison de m’accrocher, au fil du temps j’ai su me faire une place et m’imposer. Certains hommes s’entraînaient mais beaucoup n’osaient pas monter sur le ring, franchir le cap. Moi, si.
À quel moment c’est devenu plus sérieux pour vous ?
Cela a pris du temps parce que la boxe féminine n’était pas considérée comme un sport de haut niveau. On avait le statut mais pas les conditions, pas les moyens, pas les sponsors, pas le matériel, donc on finançait tout nous même.
Pour moi ça a commencé à être sérieux quand j’ai obtenu mon premier titre de championne de France. Ça a été vite puisque je l’ai eu en 1999, deux ans après mes débuts. Puis derrière, tout s’est enchaîné assez vite avec une première équipe de France et des combats à l’étranger. Là, c’était très sérieux.
Comment gagniez-vous votre vie ?
J’étais éducatrice spécialisée dans une école pour enfants handicapés, je posais des congés sans solde pour partir en compétition : c’était très compliqué, c’étaient de grosses pertes de salaire pour moi. Et en même temps c’est un sacrifice que j’assumais, j’avais envie de me faire plaisir.
On gagnait aussi de l’argent quand on avait des médailles et quand on remportait un match. Aujourd’hui par exemple, c’est 60 euros par match gagné. Mais quand on partait en tournoi pendant 10 jours et qu’on faisait un ou deux combats, ce n’était rien par rapport à la perte de salaire.
Le système a évolué depuis ?
Oui, depuis 5 ans la Fédération propose des aides, entre 300 et 800 par mois en fonction des performances. Mais on ne peut toujours pas vivre de la boxe, il faut un travail à côté. Maintenant j’ai un contrat de travail adapté qui me permet de partir en compétition sans perdre mon salaire, cela fait du bien.
La situation est-elle la même pour les hommes ?
Depuis 2012, hommes et femmes sont à égalité au niveau des primes et des aides. Très peu de boxeurs arrivent à vivent uniquement de ce sport, il y a très peu de sponsors. La boxe n’est pas aussi médiatisée que le foot ou le rugby.
2012 est donc une année charnière puisque c’est aussi l’année où la boxe féminine est entrée aux JO. Mais les femmes ont seulement 3 catégories de poids aux JO contre 10 pour les hommes, vous le comprenez ?
Cela se fait doucement parce que l’intégration aux Jeux dépend aussi du nombre de pratiquants. On sait que c’est compliqué parce qu’ils n’ont créé effectivement que 3 catégories avec seulement 12 places dans chaque catégorie. C’est très limité quand on sait que les hommes en ont 10 et sont 250 à pouvoir aller aux JO, contre 36 boxeuses.
Mais en même temps faire entrer des femmes dans le programme olympique, cela contraint à enlever des hommes puisque pour intégrer 3 catégories féminines, ils ont fait sauter des places masculines. Cela suscite forcément de la colère chez les sportifs.
C’était important pour vous que les boxeuses participent aux Jeux olympiques ?
Les JO, ça a toujours été un rêve pour moi. En 2012 j’allais mettre un terme à ma carrière mais cette annonce m’a relancée. À l’époque, après être devenue championne du monde en 2008, j’avais le sentiment de tourner en rond, de faire toujours les mêmes tournois, que la boxe féminine n’évoluait pas. Mais les JO, c’était une grosse opportunité. Malheureusement je me suis complètement plantée aux qualifications de 2012. J’avais fait une super année, deuxième européenne, mais dans le dernier combat qui m’aurait permis d’aller à Londres j’ai perdu pied, je me suis focalisée sur l’enjeu, j’ai paniqué. Là, j’ai décidé d’arrêter ma carrière sur cet échec, c’était un peu prématuré.
Qu’est-ce qui vous a poussée à revenir ?
J’avais encore le rêve des Jeux qui me titillait, j’ai eu envie de me lancer ce dernier challenge. C’était très dur après ma grossesse, j’avais l’impression de n’avoir jamais fait de sport. Puis c’est revenu doucement, le plaisir également. Il a fallu s’organiser : j’avais lancé mon entreprise, créé mon club destiné aux femmes avec halte-garderie, j’avais mon travail… C’était une vie à 100 à l’heure, il a fallu tout millimétrer, mais je ne le regrette pas, ça a porté ses fruits.
Comment vous sentez la suite, aux JO ?
Je la sens bien ; le plus dur c’était la qualification. J’avais tellement envie d’y arriver, même si j’ai eu des doutes, j’y ai toujours cru, je n’ai rien lâché. Mais le chemin n’est pas fini, il ne faut pas que je baisse la garde, il faut que j’aille jusqu’au bout, j’ai la possibilité d’aller loin.
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