Isabelle Attard, députée écologiste du Calvados, créé le « poulailler de l’Assemblée ». Un groupe informel ouvert à toutes et tous avec un but : ne plus laisser passer les attitudes et propos sexistes des parlementaires.
Parce qu’elle ne veut plus subir les commentaires sexistes de ses collègues masculins, Isabelle Attard, députée EELV du Calvados, lance « le poulailler de l’Assemblée ». Un groupe informel, composé de parlementaires, hommes et femmes, de tous bords, qui se réunira dès qu’il le pourra pour remettre un prix sarcastique visant à dénoncer le comportement sexiste d’un parlementaire.
« Est-ce qu’on est là pour faire de la figuration ? »
Si l’attribution de ce prix peut paraître anecdotique, le message est bien plus fort : stop aux remarques machistes dans les plus hautes sphères du pouvoir. « L’idée est certes d’attirer l’attention et de ridiculiser le député Philippe Le Ray [auteur du désormais célèbre cri de poule, NDLR], mais aussi de faire quelque chose de plus profond en expliquant comment nous vivons notre situation de femme parlementaire », indique Isabelle Attard.
Un groupe informel pour rappeler aussi et surtout que les femmes députées n’ont toujours pas les mêmes acquis que leurs confrères masculins. « Est-ce qu’on a l’occasion d’être rapporteurs pour les projets de loi ? Est-ce que les femmes ont des responsabilités importantes, ou pas, au sein des commissions ? Est-ce qu’on est là pour faire de la figuration à l’Assemblée ou est-ce qu’on a un vrai rôle ? », questionne la députée.
L’élément déclencheur a certes été le comportement de coq de l’UMP Philippe Le Ray à l’encontre de la députée écologiste Véronique Massonneau, mais la députée de la 5e circonscription du Calvados tient à souligner que ce n’est que « la goutte d’eau qui fait déborder la coupe du sexisme ordinaire. »
« Le pire, c’est quand on a la sensation d’être transparente »
Avant, il y a eu Jacques Myard et « les petites Anglaises », Cécile Duflot et sa robe à fleurs, Marc Le Fur et le pot de fleurs adressé à la ministre déléguée chargée des PME Fleur Pellerin. Sans compter les remarques récurrentes liées au physique. Autant d’incidents révélateurs du sexisme ambiant au Parlement comme le confirme Isabelle Attard. « ‘Elle au moins, elle est baisable’ , on l’entend souvent lorsqu’une femme prend la parole dans l’hémicycle. »
La députée poursuit : « Tous les jours à l’Assemblée, on a un petit comportement, une petite phrase, une petite caresse dans le dos, des choses où l’on se dit : ‘si j’étais un homme, on n’agirait pas de la même façon’. » Une discrimination qui selon Isabelle Attard commence souvent lors d’une campagne électorale. « J’ai été traité de ‘salope’ dans tous les bars du canton entre les deux tours par un candidat, un dissident socialiste que je venais de battre. Le plus choquant, c’est quand on me disait que j’étais un coucou et que j’arrivais dans le lit tout chaud. Le rapport entre le lit et la femme était assez immédiat… », explique la députée.
« Ce n’est pas acceptable de traiter quelqu’un de conne ou de salope, mais je ne considère pas que ce soit du sexisme », note la députée. « Une femme peut insulter une autre femme, et un homme, un autre homme. La vulgarité touche tout le monde. Utiliser des onomatopées comme « cot cot », appeler les femmes par leur prénom et non par leur nom de famille, ça ce sont des marques de distinction entre les sexes. » Avant d’ajouter : « Le pire, c’est quand on a la sensation d’être transparente. On ne vous parle pas, vous n’êtes pas là, vous n’existez pas. C’est pire que les propos provocateurs et d’un autre âge d’un Jacques Myard. C’est nier votre présence. »
4 parlementaires présents sur 577 député-e-s
Au total, 4 parlementaires, Isabelle Attard compris, étaient présents à cette première réunion du « Poulailler », mercredi 16 octobre. Un triste constat que la députée nuance : « Peu de député-e-s ont pu se déplacer aujourd’hui, mais on a reçu des messages d’encouragement d’une vingtaine de parlementaires. » Parmi elles, Véronique Massonneau qui aurait promis d’être présente lors du prochain rendez-vous du groupe. Des femmes qui se disent solidaires de cette initiative, mais dont certaines ont subi des pressions de la part de leur groupe pour ne pas rejoindre ce « poulailler ». C’est le cas de plusieurs parlementaires UMP, selon Isabelle Attard, qui dit regretter mais comprendre cette situation. « J’aimerais que la prochaine fois, on puisse avoir les femmes de l’opposition qui nous rejoignent, et que leur conduite ne soit pas dictée par leur président de groupe. »
Dénoncer donc, pour ne pas légitimer. Car la députée écologiste le répète, « le problème à l’Assemblée, c’est qu’avec le temps, on s’est habituées à entendre ces remarques, et soit à ne plus réagir, soit à considérer que c’est normal. »
Une prise de conscience qui doit aussi passer par les hommes. Pourtant, sur la vingtaine de parlementaires qui ont annoncé leur soutien à l’initiative du groupe, seuls 5 hommes figurent au tableau. Un seul, Sergio Coronado, était présent physiquement à la première réunion.
Paroles d’élues suisses Les attitudes sexistes au Parlement ne sont pas l’apanage de la France. En Suisse aussi les élues doivent y faire face, relève le quotidien Le Matin. Une parlementaire helvète évoque « des regards condescendants, on vous observe de haut en bas, on vous appelle ‘Ma petite dame’ » ; une autre dénonce « l’attitude paternaliste » et « des tentatives d’intimidation avant les débats ». Et toutes de déplorer « le climat de suspicion quant aux compétences d’une élue arrivant à Berne », siège du parlement suisse qui compte moins de 30% d’élues. Delphine Gardey, directrice des études genre à l’Université de Genève, rappelle que la Suisse « a accordé très tard le droit de vote aux femmes. La politique a été structurée par les hommes et demeure masculine. L’engagement politique a été pendant longtemps un espace excluant les femmes. C’est toute une culture qui tient les murs ! » |