Les T-shirts d’une campagne féministe britannique sont fabriqués sur l’île Maurice par des ouvrières sous-payées. Shocking, ou tristement banal ?
La semaine dernière, le Premier ministre britannique David Cameron se trouvait sous le feu des critiques pour avoir refusé de porter un T-shirt féministe (Voir : « Féministe » : magazine de mode contre Premier ministre). Mais aujourd’hui, retour de bâton. C’est la campagne féministe elle-même qui est contestée. En cause : les conditions de misère dans lesquelles ce T-shirt est fabriqué.
Le 1er novembre, dans une enquête accablante, le tabloïd Mail on Sunday écrivait que ces T-shirts sont confectionnés sur l’île Maurice par des femmes qui logent à 16 dans des dortoirs et gagnent 80 centimes d’euros de l’heure, en travaillant 45 heures par semaine pour « le quart du salaire mensuel moyen ».
Ces T-shirts (ainsi que des pulls) affichant le slogan « This is what a feminist looks like » (« Voilà à quoi ressemble un.e féministe ») sont vendus au profit de l’association féministe Fawcett Society, dans le cadre d’une campagne menée avec le magazine ELLE UK. Ils sont produits par la marque de vêtements Whistles. La Fawcett Society, avait déjà dû justifier son choix de s’associer à une magazine féminin, « qui véhicule des idéaux de beauté restrictifs ». Voici une raison de plus de le regretter.
Ethique en question
Dans un communiqué, l’association se dit « peinée » par ces informations. Elle assure qu’elle avait reçu de Whistles, à l’origine, la garantie que les vêtements étaient fabriqués dans des conditions éthiques, et sur place, au Royaume-Uni. Mais une fois les premiers T-shirts livrés en octobre, premier accroc : la Fawcett Society s’est aperçue qu’ils étaient en fait fabriqués sur l’île Maurice. Elle dit avoir déjà, à cette occasion, demandé des comptes à Whistles. Cette dernière a garanti que le fabricant mauricien, CMT, répondait à tous les critères éthiques et environnementaux. « Devant ces assurances, et le fait que la totalité des T-shirts et des pulls étaient déjà produits, nous avons décidé de poursuivre notre collaboration », explique Eva Neitzert, vice-présidente de l’association.
Mais devant ces nouvelles révélations, la Fawcett Society indique sa volonté d’enquêter sur les éléments avancés par le Mail on Sunday. Et « s’il apparaît une preuve concrète et vérifiable de mauvaises conditions de travail dans l’usine, nous demanderons à Whistles de retirer immédiatement la collection et verserons une partie des profits à une association de lutte pour le commerce éthique », assure Eva Neitzert.
La société Whistles, sur sa page Facebook, se dit de son côté « choquée par les allégations » du journal, qu’elle juge « très graves » et sur lesquelles elle assure « enquêter de façon urgente ».
Sans doute pas pire qu’ailleurs… c’est bien le scandale
Ce qui choque surtout ici, c’est l’association entre le message féministe et les conditions dans lesquelles ce message est produit, par des femmes qui plus est. Car dans le fond, les conditions de travail que dénonce le Mail on Sunday apparaissent malheureusement conformes aux standards internationaux dans le secteur, et même sans doute meilleures que dans la plupart des pays asiatiques. « Tous les jours nous portons des vêtements produits par des travailleuses exploitées », fait ainsi remarquer Lucy Siegle dans The Guardian.
La semaine de 45 heures n’a rien d’exceptionnel dans les usines de confection en Afrique ou en Asie. Ce que gagnent les employées de CMT, environ 150 euros par mois (6000 roupies mauriciennes), c’est le salaire moyen des employées du textile sur l’île Maurice, où le secteur représente près du tiers des exportations.
Il est, de fait, deux fois et demi moindre que le salaire minimum, toujours inexistant dans l’île, que réclament les syndicats. Mais des salaires et des conditions de travail déplorables, c’est une situation globale que connaît le secteur du textile, féminisé à plus de 80%, donc déclassé. Le drame du Rana Plaza, au Bangladesh, est encore dans les esprits. Au Cambodge aussi, les « forçats du textile » se battent pour des salaires décents. Et même l’Europe n’échappe pas à cette situation (Voir : Textile et dépendance : en Europe aussi, les femmes au bout de la chaîne).
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