La bande dessinée « Une farouche liberté » revient sur l’existence engagée de Gisèle Halimi. Interview croisée d’Annick Cojean et de Sophie Couturier, les deux scénaristes qui ont bien connu la célèbre avocate et ont partagé ses engagements.
Annick Cojean, en 2020, vous publiez « Une farouche liberté », un livre d’entretiens avec Gisèle Halimi. Pourquoi avoir choisi de l’adapter en bande dessinée ?
Annick Cojean : Dès le départ, dans ce livre écrit juste avant sa mort, il y avait une volonté de passage de relais, de testament même. Ce roman graphique, nous l’avons donc envisagé comme une caisse de résonance au premier livre, pour mieux faire entendre les messages de Gisèle Halimi. À l’époque*, certains lecteurs m’avaient dit “ce petit livre nous oblige“… J’aime beaucoup cette idée. Ce petit livre nous oblige à nous tenir droit, à continuer le combat de Gisèle, à être vaillant, attentif, à ne rien laisser passer.
Sophie Couturier : Pour ma part, j’ai été très heureuse, lorsqu’Annick m’a proposé d’écrire ce scénario avec elle. J’ai tout de suite accepté, avant tout, en hommage à Gisèle. Au-delà de l’admiration que je lui portais, je l’aimais beaucoup, notamment après avoir milité à ses côtés à « Choisir la cause des femmes ». Cette BD c’était quelque chose de tendre à faire pour elle.
Qu’il y a-t-il de romanesque dans la vie de Gisèle Halimi ?
Annick Cojean : Sa vie a tout de celle d’une héroïne ! Elle se bat contre les injustices, contre les puissants. C’est quand même une avocate qui a fait bouger les lignes sur la question d’avortement ou du viol. Au fil de l’album, on voit d’ailleurs se forger ce caractère rebelle qui remet tout en cause, ainsi qu’une incroyable volonté de rectifier les injustices.
Sophie Couturier : Avec le roman graphique, on voulait également montrer une facette moins connue de sa vie : son intimité. On découvre alors une Gisèle amoureuse, maman de trois garçons et entourée des “filles“ de son mouvement « Choisir la cause des femmes ». On s’est amusées, avec Annick, à imaginer ce que pouvaient être les dîners où elle préparait du couscous à Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre. On voulait décrire des moments drôles, entre femmes et en famille, afin de faire vivre un personnage. Ça la rend très humaine, très proche de chacun de nous.
Depuis quelques années, plusieurs bandes dessinées illustrent l’histoire des luttes féministes. Quel regard portez-vous sur ce phénomène ?
Sophie Couturier : C’est formidable cette éclosion de livres et de modèles féminins. Lorsqu’on était petites filles, aussi bien Annick que moi, on en n’a pas eu tant que ça. Quand on ouvrait nos livres d’Histoire, on ne parlait que de Jeanne d’Arc ou de Marie Curie. En dehors de ça, que des hommes ! Gisèle Halimi est une héroïne inspirante pour la jeunesse d’aujourd’hui. En tant que filles, on peut s’identifier, se projeter dans une figure comme celle de Gisèle, qui est de nature à nous donner beaucoup de force.
Dans sa carrière d’avocate, Gisèle Halimi a défendu plusieurs grandes causes. Quel moment résume, selon vous, la femme de combat qu’elle était ?
Annick Cojean : Celui qui reste le plus emblématique, c’est le procès de Bobigny. Il est tellement d’actualité. Nous fêtons les 50 ans du procès cette année. C’est un anniversaire qui résonne étrangement… C’est une catastrophe ce revirement de la Cour Suprême des États-Unis sur le droit à l’avortement, mais également en Pologne ou en Hongrie. C’est une triste actualité qui nous prouve à quel point il est important de garder en mémoire les combats de Gisèle Halimi.
Un hommage national devait lui être rendu en 2022. Mais il n’a pas encore eu lien. Vous comprenez ?
Annick Cojean : Je trouve ça désolant. On le fait pour des acteurs, des écrivains, des militaires… pourquoi ne le ferait-on pas pour cette combattante des droits des femmes, par ailleurs l’avocate la plus célèbre de France ? On aurait pu imaginer faire cela au Palais de Justice, avec tous ses pairs ou encore à la Sorbonne car c’était une intellectuelle. Je ne peux pas imaginer qu’on ne le fasse pas…
Sophie Couturier : Le cinquantenaire du procès de Bobigny aurait été le moment parfait. On espère que notre roman graphique contribuera à rappeler ses combats et leur nécessité.
Le roman graphique se conclut sur une discussion entre Gisèle Halimi et des jeunes gens. Pourquoi cette mise en scène ?
Annick Cojean : Dans ce roman graphique, c’est Gisèle qui nous parle. On voulait qu’il y ait une voix off, que ce soit la “vieille dame“ qui se retourne vers le passé, sans pour autant être nostalgique. Au contraire, elle nous raconte, nous interpelle. Ce n’est pas une vieille dame qui s’endort.
Le livre initial est paru quelques mois après la disparition de Gisèle Halimi en 2020.
« Une farouche liberté », d’Annick Cojean et Sophie Couturier (scénario), éd Steinkis/Grasset, 144 p., 22€. En librairie depuis le 6 octobre 2022.
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