Une ferme maraîchère participative se développe dans Paris, entretenue par des bénévoles engagé.e.s qui luttent avec leurs propres moyens. Ici on « valorise les déchets urbains » et on vend des légumes sans pesticides chimiques. Reportage.
« Et les blettes, on les coupe comment ? ». Accroupis devant de jeunes pousses de salades, un petit groupe désherbe, un autre cuisine, répare, ponce la belle bâtisse de l’ancien gardien et les plus valeureux se chargent du compost. Difficile de croire qu’ici nous sommes à Paris, dans un coin renfoncé du Jardin d’Agronomie Tropicale, limitrophe de Nogent-sur-Marne. Il fait chaud mais les bénévoles sont nombreux, enthousiastes de participer à cette micro-ferme maraîchère et participative qui « valorise les déchets urbains », précise Virginie Gautier, seule salariée de l’association V’île fertile à l’origine du projet.
Une démarche de professionnalisation : « on produit des légumes pour les vendre »
En 2014, l’association remporte l’appel à projet Végétalisation Innovante de la ville de Paris. Le but : « Expérimenter et promouvoir l’agriculture écologique à Paris », via une ferme gérée entièrement par des bénévoles. La mairie met alors à leur disposition une parcelle de 1000 m2. « Il a fallu tout restaurer », explique Virginie Gautier. « Le pavillon de 60 m2 que nous louons n’était plus habité depuis une trentaine d’années, il était recouvert de lierre – à l’extérieur comme à l’intérieur -, la serre était inutilisable. Avec les bénévoles, nous avons tout remis en état ».
Un ferme participative, « cousine des jardins partagés » mais pas identique : « Ce qui nous différencie, c’est notre démarche de professionnalisation : on produit des légumes pour les vendre ». Preuve à l’appui, un tableau, à l’entrée du pavillon avec les produits commercialisés et leur prix : salade, basilic, shitake… « Le but est que nous soyons économiquement viables. En 2015 nous avons produit 1,3 tonnes de légumes, une recette d’environ 6 000 euros, l’équivalent de 4 000 repas. Cette année sera plus difficile, le climat n’a pas vraiment été avec nous, surtout que nous avons une nouvelle terre ».
En plus d’être un site classé, ce qui empêche l’extension du maraîchage et la construction de nouvelles structures, les 500 m2 de terrain cultivable étaient en fait pollué au plomb. « Heureusement, pas assez pour être transféré dans les légumes », souligne Virginie Gautier, « mais la mairie de Paris a préféré changer la terre ».
Pas de label bio mais un maraîchage écologique
« Nous sommes encore loin de l’autonomie financière que nous souhaitons, nous nous sommes rendus compte que la production de légumes ne suffirait pas, on s’est donc lancé dans l’organisation d’activités pédagogiques », explique la salariée.
Ce mercredi 20 juillet c’est l’entreprise Axance, une agence de design, qui a offert à ses employé.e.s une journée à la ferme dans le cadre du projet Team Bulding. L’objectif est de renforcer la cohésion d’équipe, de repenser les dynamiques habituelles. Certain.e.s font la cuisine pendant que d’autres s’occupent du compost. Un compost composé des invendus du marché de Nogent-sur-Marne, à 1km de la ferme, du fumier du centre équestre de Joinville-Le-Pont et de bois broyé. Pas de certification biologique – la labellisation coûterait trop cher pour la petite surface – mais une démarche écologique transparente : les pesticides utilisés sont naturels, les amendements à base de corne broyée, produits de mines, etc.
La maraîchage n’est pas non plus pensé avec une démarche de permaculture mais s’en approche. Les rangs de légumes sont rapprochés – le sol étant travaillé manuellement – laissant « assez de place pour passer le pied, contrairement à l’agriculture conventionnelle qui demande un espace plus large pour le passage des machines ». Dans la serre, des plants de tomates, aubergines, poivrons… ainsi qu’une pépinière pour que l’association puisse produire ses propres plants.
« Les pouvoirs publics devraient donner l’exemple, mais c’est lent. Il ne faut pas toujours attendre d’être contraint ou forcé pour changer ses habitudes »
Un concept bien ficelé qui a plu immédiatement à Guillemine, bénévole très assidue. Ils sont d’ailleurs une vingtaine d’adhérents très actifs parmi les 85 bénévoles, 60% de femmes. « Je viens ici au moins une fois par jour », confie la graphiste nogentaise, qui a connu le projet grâce au bouche-à-oreille.
« Au début je suis venue acheter mes légumes puis j’ai découvert les choses petit à petit, j’ai vraiment apprécié le travail collectif ». Des notions de maraîchage, de jardinage ? « Pas du tout », répond Guillemine, « j’ai appris sur le tas avec les autres ».
De fait, l’association mise sur l’auto-formation. « C’est vraiment un élément important pour nous », précise Virginie Gautier, « le but est que chacun se prenne en charge ». En plus de celle installée récemment dans la cave, le mari de Guillemine va gérer la création d’une nouvelle champignonnière dans un tunnel à l’entrée du parc floral, récente concession de la Mairie de Paris. « Nous récupérons du marc de café pour cultiver nos champignons, nous privilégions l’économie circulaire », explique Virginie. « De manière globale, notre ambition c’est de récupérer les déchets urbains qui sont habituellement jetés, alors qu’ils pourraient être réutilisés et de montrer qu’on peut en faire quelque chose ».
Un travail de sensibilisation : « En tant qu’être humain qui vit sur cette planète, nous avons tous des responsabilités », avance Virginie Gautier. Mais n’est-ce pas aux pouvoirs publics de prendre en charge ces projets ? « Les pouvoirs publics devraient certes donner l’exemple, mais c’est lent. Il ne faut pas toujours attendre d’être contraint ou forcé pour changer ses habitudes ».