Un journal sort une affaire de prostitution de mineure particulièrement brutale. « Prostitution forcée », « proxénétisme de cité », « viols »… les journaux ont du mal à qualifier les faits.
C’est le quotidien Le Parisien qui a sorti l’affaire en premier lundi 9 décembre avec ce titre : « Val-de-Marne : une ado de 16 ans contrainte à faire « 200 passes » en cinq jours. » Le lendemain, France3 Val-de-Loire reprend l’information sortie par son confrère et titre : « Une adolescente du Loiret séquestrée et violée pendant cinq jours dans le Val de Marne. » Les faits et la qualification des faits tels qu’ils sont rapportés dans ces articles révèlent les difficultés à appréhender la lutte contre la prostitution des mineur.e.s .
Que s’est-il passé ? L’adolescente, qui avait fugué d’un foyer pour mineurs d’Orléans aurait été séquestrée et prostituée dans un appartement à Gentilly début décembre par cinq personnes âgées de 16 à 22 ans. Deux se trouvaient à l‘entrée de l’immeuble, deux dans l’appartement et une autre sous-louait la chambre. Les 200 « clients » auraient été recrutés par une annonce mise en ligne. Le Parisien raconte que la victime «n’avait le droit de dormir que deux ou trois heures par nuit.» Elle a fini par obtenir l’adresse de l’appartement où elle était enfermée auprès d’un client. Puis elle a envoyé un texto à sa mère qui a prévenu la police. Les cinq suspects ont été interpellés le 8 décembre et mis en examen pour proxénétisme aggravé.
Dans des articles qui relatent cette affaire, il est question de « passes », de prostitution qui aurait été « consentie » par l’adolescente au début, lorsqu’elle arrive en région parisienne après avoir fugué et avant d’être séquestrée. Mais le journaliste du Parisien prend quand même soin de préciser « Était-elle consentante à ce moment-là, si tant est qu’on puisse l’être à cet âge ? »
«Parler de « proxénétisme des cités » est impropre »
Le Mouvement du Nid, qui se bat contre « le système prostitueur » approuve la dénonciation du calvaire de l’adolescente dans la presse mais regrette que la prostitution des minieur.e.s reste un phénomène mal appréhendé.
D’abord, comme dans toutes les affaires de violences sexistes la tentation est grande de pointer du doigt une catégorie d’individus. « Parler de « proxénétisme des cités » est impropre » explique Sandrine Goldschmidt, responsable de la communication du Mouvement du nid et de son journal « Prostitution et société ». « Certes, le proxénétisme semble augmenter dans les cités mais les clients viennent de partout. Ceux qui pratiquent le business de la prostitution ont les mêmes profils que les dealers et, comme eux, ils vendent aussi à des gens des beaux quartiers, mais là ce sont des jeunes femmes. » D’ailleurs, si certains dealeurs préfèrent le trafic de prostituées au trafic de drogue c’est parce qu’il est plus facile et moins cher. Pas besoin d’investir dans de la matière première et de prendre des risques à tous les niveaux de la filière. Les proxénètes rodent autour des foyers pour mineurs afin de trouver des jeunes vulnérables ou entrent en contact avec leur proie via internet.
« En ce qui concerne les clients prostitueurs, ils viennent de partout, recrutés en ligne. Et ce ne sont pas forcément des jeunes des cités. Ils sont de tous âges et de tous milieux ainsi que nous le voyons dans les stages prévus pour les clients» assure Sandrine Goldschmidt. [La loi du 13 avril 2016 de lutte contre le système prostitutionnel prévoit en effet, pour les clients, des stages de sensibilisation à la lutte contre les achats d’actes sexuels. Ndlr]
Lutter contre le système prostitutionnel ce n’est pas seulement lutter contre les proxénètes. Dans l’affaire de Gentilly, si les jeunes accusés de proxénétisme risquent une peine, on ignore ce qu’il adviendra des 200 clients. «Il doit être possible de les retrouver puisqu’ils ont été en contact avec les proxénètes via internet » note Sandrine Goldschmidt. « Cette affaire est importante pour dénoncer une forme d’esclavage de mineur.e.s, vulnérables, qui sont des victimes privilégiées par les agresseurs. Mais il ne faut pas limiter le problème à la question du proxénétisme de cité, ni aux mineur.es. Le système prostitutionnel, ce sont des proxénètes qui violentent des personnes vulnérables pour les prostituer et en tirer profit, et des clients qui paient ces proxénètes pour à leur tour profiter de ces jeunes femmes esclavagisées sans se préoccuper le moins du monde de leur situation. » Parler de 200 « viols » comme le fait France3 Val-de-Loire est probablement plus juste que de parler de « passes ».