Aujourd’hui on salue l’arrivée en fanfare et en compétition du troisième film de Julia Ducournau. Dès sa première projection, « Alpha » est devenu le film-qui-divise-la-Croisette. Je suis du côté des admiratrices.

Il fait parler les festivaliers à la sortie des projections et sur les réseaux avec autant de mauvaise foi du côté de ses défenseurs que de ses détracteurs. « Alpha » était attendu au tournant, le secret a été soigneusement gardé sur son scénario et son tournage au Havre à l’automne dernier. N’avait fuité qu’une photo de la jeune Mélissa Boros dans le rôle d’Alpha, photo qui est d’ailleurs la dernière image du film.
Collégienne de 13 ans, Alpha est rejetée à l’école car suspectée d’être porteuse d’une maladie qui rappelle à la fois le Sida et la Covid. Elle vit seule avec sa mère médecin quand son oncle Amin réapparait dans leur vie. Ce monde à la fois familier et dystopique pourrait être la France des années 80 à 90, un monde sans portables ni réseaux. La cité où ont grandi sa mère, son oncle et ses tantes est recouverte d’un sable mystérieux que la grand-mère kabyle appelle « le vent rouge ». Quant à la maladie qui gangrène la population, elle transforme peu à peu les corps en statues de marbre, en gisants de pierre qui communiquent par le regard. Dans cette société malade, Alpha grandit en compagnie de la mort contre laquelle sa mère lutte absurdement mais sans faillir. Golshifteh Farahani, magnifique, tente de ramener à la vie des condamnés, en premier lieu son frère Amin, à la fois drogué et dévoré par le virus. Tahar Rahim maigre comme un coucou incarne ici un ange de la mort impressionnant.
Julia Ducournau présente ce film comme « son œuvre la plus personnelle et la plus profonde ». Son héroïne ressemble d’ailleurs à celle de son premier court métrage, « Junior » (2011) : une ado garçon manqué à lunettes et baskets, hantée par des cauchemars mais avançant pourtant en vrai pitbull, comme la qualifie fièrement sa mère. Pour la première fois, la cinéaste évoque frontalement l’amour, qu’il soit maternel, filial, familial, ou lui aussi contaminé par un mauvais virus. « Alpha » est une œuvre magistrale, sans concession ni nuance, qui se moque de fédérer, signée par une réalisatrice spectaculaire, au sens premier du mot : « Ce qui se présente au regard, à l’attention, et qui est capable d’éveiller un sentiment. »
« Alpha », écrit et réalisé par Julie Ducournau (fiction, 2h08) , avec Tahar Rahim, Golshifteh Farahani, Mélissa Boros, produit par Mandarin & Compagnie, distribué par Diaphana, en compétition Cannes 2025, sortie le 20 août 2025

à la remise de la Palme d’Or pour « Titane » en 2021
On ne la présente plus… mais on vous résume quand même son parcours. Fille d’un dermatologue et d’une gynécologue, fan de films gore depuis sa petite enfance, elle dit avoir vu « Massacre à la tronçonneuse » à six ans ! Le sang, la chair, la transformation des corps, sont ses matières cinématographiques favorites. Il y a en elle du David Cronenberg. Elle est entrée dans la lumière à la Semaine de la critique avec « Grave », épopée cannibale en milieu étudiant. Son deuxième film « Titane » pousse encore le mélange des genres : une jeune femme enceinte d’une voiture ( !) se déguise en jeune homme, avant d’accoucher d’un bébé à la colonne vertébrale en titane… Palme d’or, pour ce film 28 ans après Jane Campion, Julia Ducournau a remercié le jury de lui avoir permis de faire « entrer les monstres » au cinéma. Dans une interview toute récente au magazine Première, elle analyse ainsi sa première trilogie : « Grave parle de l’humanité comme d’une transcendance de notre animalité, presque un Graal à atteindre (…). Titane parle d’une humanité qui se meurt mais dont la solution se trouverait dans une forme de transhumanisme ou de transhumanité. (…) Dans Alpha, il n’y a plus que notre humanité, nue. Sans solution, sans issue. » Dur dur !
1 Commentaire
Superbe article ! hâte de voir le film.