Carla Simón est l’une des six réalisatrices en compétition de ce festival cannois. Avec « Romería », elle répare son douloureux passé d’orpheline du sida. Un pélerinage doux et poétique.

A la fin des années 1980, l’Espagne a connu l’un des plus forts taux de mortalité d’Europe liée au Sida. L’épidémie et la drogue ont tué beaucoup de jeunes gens et laissé quelques orphelin.e.s dans ce pays qui sortait de la dictature de Franco. La cinéaste Carla Simón est issue de cette nouvelle génération, les enfants de la Movida.
C’est le cas aussi de la jeune Marina dans « Romería », qui a besoin de papiers administratifs pour obtenir sa bourse universitaire. Cette jeune femme adoptée découvre que sur le papier elle n’existe pas, et part pour un voyage vers la famille de son père dans la ville portuaire de Vigo. Elle y rencontre une armée de cousins, cousines, oncles et tantes, mais aussi ses grands-parents paternels. Par fragments la vérité se fait jour, dans toute sa brutalité : son père héroïnomane a été isolé par des grands-parents jusqu’à sa mort, officiellement due à l’hépatite C.
Malgré son sujet sombre, « Romería » est une parenthèse de bord de mer, de bateaux, de soleil, presque de vacances. Marina est interprétée par Llúcia Garcia, repérée dans un casting sauvage, pour sa première apparition dans un rôle principal. De la cinéaste, elle a la beauté douce et la ténacité, et son personnage veut faire des études… de cinéma.
A travers son pèlerinage (c’est le sens du mot romería en espagnol), Marina redonne vie à ses jeunes parents, à leur amour avant la maladie, à leur bonheur qui précéda la fin. La magie du cinéma permet à la jeune Marina-Carla de les rencontrer dans des moments de fulgurance poétique. « Quand tu ne peux pas forger ton identité à travers les autres, tu peux l’inventer par la création. Le cinéma est là pour ça : créer des images qui n’existent pas. » résume la réalisatrice. Ce n’est pas un film de deuil mais de réparation.
« Romería » de Carla Simón (Espagne, 2h), avec Llúcia Garcia, Mitch, Tristan Ulloa, produit par Elastica Films, Ventall Cinema, distribué par Ad Vitam et MK2. Compétition Cannes 2025
Carla Simón, jeune et déjà multiprimée
Elle a eu un destin singulier : née en 1986, Carla Simón a perdu très jeune son père puis sa mère de l’épidémie du Sida. Chaque film de la réalisatrice puise dans cette histoire personnelle. « Eté 93 » (2017) évoquait sa petite enfance après la perte de ses deux parents. « Nos soleils » se déroulait dans une famille de cultivateurs de pêches en Galice, comme sa famille adoptive. Deux films tournés en catalan et non en espagnol, ce qui est rare. « Eté 93 » a été récompensé en Espagne (Goya du premier film) ainsi qu’à Berlin (meilleur premier film de la Berlinale et prix du jury de la section Generation Kplus). Mais elle est véritablement entrée sur le devant de la scène du cinéma d’auteur mondial avec l’Ours d’Or reçu à la Berlinale pour « Nos soleils ». Elle a dédié son prix « aux petites familles d’agriculteurs qui cultivent chaque jour leur terre pour remplir nos assiettes ». La jeune réalisatrice (elle a 38 ans) a exploré également dans ses courts métrages et documentaires ce même thème de prédilection. Ainsi, pendant la grossesse de son fils en 2022, elle a signé « Carta a mi madre para mi hijo » (Lettre à ma mère pour mon fils) où elle rend hommage à sa mère en la racontant à son bébé. Quand elle a présenté ce court métrage à la Mostra de Venise, elle est venue au festival avec son fils de deux mois sous le bras, tout naturellement. Tout naturellement aussi, elle est venue enceinte jusqu’au cou présenter « Roméria » à ce 78ème festival de Cannes.